Oui..... Mais non.
C'est bien plus compliqué que ça, et l'introduction montre que Ploum n'a rien compris à cette phrase de Desproges dans son réquisitoire contre Jean-Marie Le Pen. La citation complète du "avec tout le monde" est la suivante :
"Deuxième question : peut-on rire avec tout le monde ?
C’est dur… Personnellement, il m’arrive de renâcler à l’idée d’inciter mes zygomatiques à la tétanisation crispée. C’est quelquefois au-dessus de mes forces, dans certains environnements humains : la compagnie d’un stalinien pratiquant me met rarement en joie. Près d’un terroriste hystérique, je pouffe à peine, et la présence à mes côtés, d’un militant d’extrême droite assombrit couramment la jovialité monacale de cette mine réjouie dont je déplore en passant, mesdames et messieurs les jurés, de vous imposer quotidiennement la présence inopportune au-dessus de la robe austère de la justice sous laquelle je ne vous raconte pas."
Et ce "avec tout le monde" est important car il pose la question, fondamentale, de savoir d'où l'humoriste parle. Si Perre Desproges n'a pas été inquiété plus que ça durant sa carrière, c'est parce que tout le monde savait, sans ambiguïté possible, d'où il parlait. De même que Coluche et tous les humoristes regrettés par tant de personne aujourd'hui. Desproges ne voulait pas rire avec des fachos. Il riait d'eux.
On savait d'où Desproges et Coluche parlaient, donc on sait ce qu'ils veulent dire, de qui ils veulent se moquer. Ils sont anti-racistes, anti-fascistes, anti-staliniens, humanistes.
Il est faux de dire que "aujourd'hui Desproges ou Coluche ne pourraient plus faire leurs sketchs". Le seul problème, c'est qu'aujourd'hui on n'est pas sûr d'où parlent certains humoristes. De fait, leur humour, qui est une arme d'oppression, je le rappelle (http://www.egalitariste.net/2013/04/21/lhumour-est-une-arme/ ) est à manipuler avec la plus grande précaution, ce qu'ils ne font pas. Parce qu'ils ne comprennent pas le "on ne peut pas rire avec tout le monde".
AVEC tout le monde. Ce mot est important. Il n'est pas question de rire ou non DE quelqu'un, mais AVEC quelqu'un. C'est à dire de se poser la question de si la personne à côté de soi, qui rit de la même chose qui nous fait rire, est quelqu'un AVEC qui on veut rire.
Se poser la question d'AVEC qui on rit n'est pas de la bien-pensance, c'est de la pensée tout court, la plus fondamentale d'entre-elle :
est-ce que la personne avec qui je ris n'utilise pas cet humour comme d'une arme ?
Cette simple phrase "on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde" pose l'élément essentielle de la pensée et critique politique (au sens large) au sein de l'humour.
Ce que tu as toujours refusé de faire, Ploum.
Après, la partie "on rit pour se réchauffer le cœur entre amis", ça, oui ; lors des grands drames de la vie, l'humour, la dérision, notamment face à la mort, sont des éléments essentiels.
En revanche, la phrase "Qu’une idée ne puisse admettre la moquerie est un gage de petitesse." est tout simplement la volonté de voir l'humour perdurer comme arme d'oppression. Et ça c'est moche. Car qu'est-ce que cette phrase veut dire ? Que dès qu'on va reprocher à une phrase prétendument humoristique qu'elle est sexiste/raciste/homophobe/etc. on va répliquer que ce sont les opprimé⋅e⋅s qui sont étroits d'esprit. Et ainsi perdurera l'oppression.
Et appeler à l'aide Montesquieu qui défendait l'alliance de l'aristocratie et de la bourgeoisie contre le peuple (donc la perpétuation d'un schéma d'oppression) pour défendre "l'humour absolu", il fallait oser... Ploum l'a fait.
Il y a dans ce texte un mélange de l'humour face à un choc (qui est salutaire, comme les cliniclowns : http://www.clownattitude.com/clowns-hopital.php ) et un embryon d'analyse foireuse de l'humour social. Si je suis parfaitement d'accord avec le premier, je suis en profond désaccord avec sa vision de ce comment l'humour doit être compris et analysé dans notre société.
Il ne faut jamais oublier que les mots font parfois plus de dégâts qu'une arme de gros calibre.