Alors je vois beaucoup circuler des articles comme quoi "la Cour de Justice de l'Union Européenne reconnaît le lien entre le vaccin contre l'hépatite B et la sclérose en plaque". Ces titres sont mensongers et totalement faux.
L'arrêt est disponible ici : http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=192054&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=52571 (étrangement, aucun des sites à sensation ne donne la source de l'arrêt, des fois qu'on y trouve des trucs intéressants, mh).
En fait, la CJUE ne reconnaît aucun lien, elle affirme même le contraire dans son arrêt ! De plus, elle n'en a aucunement le pouvoir, une cour de justice ne déterminant pas ce qui est une vérité scientifique ou non ; elle s'appuie sur les connaissances scientifiques au moment où elle juge pour rendre une décision éclairée.
Mais pour bien comprendre le problème et la connerie qui se cache derrière ces titres putassiers, il faut un peu revenir sur le déroulé des événements.
Monsieur NW est infirmier dans un hôpital et reçoit entre Décembre 1998 et Juillet 1999 3 injections pour le protéger contre l'hépatite B. Ces injections sont, pour lui, obligatoires de par sa profession. En Août 1999, il commence à présenter divers troubles et les différentes consultations vont amener un diagnostic de sclérose en plaque en Novembre 2000. À partir de Janvier 2001, il ne peut plus exercer son activité professionnelle. La sclérose en plaques étant une maladie terrible, il décédera des suites de sa maladie en Octobre 2011.
Monsieur NW et sa famille ont lancé des poursuites contre Sanofi en 2006 afin de demander réparation, basé sur la concomitance de la vaccination et l'apparition des symptômes. Ils gagnent en première instance en 2009, Sanofi fait appel et gagne en appel en 2011, ils vont devant la cour de cassation. La cour a annulé l'arrêt de la cour d'appel au motif que sa décision ne s'appuyait pas sur des bases légales. La cour d'appel a donc statué sur renvoi après cassation, et c'est là que les choses "intéressantes" commencent.
La cour d'appel de Paris donc, va de nouveau infirmer le jugement de première instance, en s'appuyant, en particulier, sur le fait qu'il n'existe pas de consensus scientifique sur un lien entre le vaccin contre l'hépatite B et la sclérose en plaques (ce qui en effet vrai au moment du jugement, il n'existait pas de consensus scientifique en France) et que la sclérose en plaques est encore en grande partie inconnue.
Les enfants de Monsieur NW ont donc de nouveau saisi la cour de cassation, qui demande à la CJUE de statuer, au niveau du droit européen qui s'applique en la matière, sur la responsabilité des producteurs de vaccins, pour faire simple.
Et c'est là que la CJUE va donc frapper, puisque c'est là dessus qu'on l'interroge.
Et que dit-elle (ce suspens est insoutenable) ?
Elle rappelle tout d'abord que c'est à la victime d'apporter, en temps normal, la preuve d'un lien entre un acte médical (ici la vaccination) et un état préjudiciable qui en découlerait (ici la sclérose en plaque).
Cependant, elle rappelle aussi, et c'est là qu'est tout le sel, qu'en l'absence de consensus scientifique dans le rapport entre un vaccin et l'apparition d'une maladie, "des indices graves, précis et concordants permett[e]nt de conclure à l’existence d’un défaut du vaccin". Ce que cette phrase veut dire, et c'est là que le droit est taquin, c'est que des faisceaux d'indices concordants permettent de juger comme si le vaccin est fautif. C'est ce que "permet de conclure" signifie : la preuve n'est pas strictement apportée, mais on va considérer que c'est le cas pour pouvoir juger.
À aucun moment la cour n'établit un lien entre le vaccin contre l'hépatite B et la sclérose en plaque, bien au contraire, elle dit qu'il n'existe pas de consensus sur le sujet. Mais il faut bien juger l'affaire, et on ne peut pas attendre que les scientifiques se mettent tous d'accord avant de pouvoir juger. Et donc, dans ce cas, la cour rappelle que lorsqu'il y a quand même des raisons de penser qu'il y a un lien, comme par exemple une grande proximité temporelle entre les deux événements, et bien on peut imputer la faute au producteur du vaccin et que donc celui-ci doit indemniser la victime. Et en droit, pour reconnaître qu'un producteur de vaccin est fautif, il faut dire qu'on "conclut à l'existence d'un défaut du vaccin".
À noter par ailleurs que la CJUE ne va en aucun cas demander l'avis d'experts actuels, elle se base uniquement sur ce qui a déjà été jugé et l'état du droit, et non l'état de la science, ce n'est pas elle qui va revoir s'il existe aujourd'hui un consensus. À l'époque où la cour d'appel a rendu son dernier arrêté, il n'y en avait pas pour la cour, et donc la CJUE se base là dessus pour rendre sa décision. Or il y a un consensus mondial très net qui s'est dégagé tout de même, depuis de très nombreuses années : non, il n'y a PAS de lien entre le vaccin contre l'hépatite B et la sclérose en plaque : http://www.who.int/vaccine_safety/committee/topics/hepatitisb/multiple_sclerosis/oct_2008/en/ et http://www.who.int/vaccine_safety/committee/topics/hepatitisb/multiple_sclerosis/Jun_2002/fr/
En substance donc, la CJUE ne reconnaît pas de lien entre le vaccin contre l'hépatite B et l'apparition de la sclérose en plaques, elle dit même l'inverse. Elle rappelle que, en principe, c'est à la victime d'établir le lien entre un acte médical et un état préjudiciable, mais que dans le cas où il n'existe pas de consensus scientifique présenté à la cour qui doit juger, alors si les éléments de preuves sont suffisants pour établir un lien, même si celui-ci s'avère plus tard factuellement faux, alors la cour est autorisée à reconnaître le fabricant du vaccin comme responsable de l'état de la victime.
Ah oui, d'ailleurs, la CJUE ne reconnaît pas le fabricant fautif. Elle dit juste que la cour qui doit juger la chose peut, en l'état du droit actuel et de la situation présentée, le reconnaître comme responsable, et donc peut le condamner à verser des indemnités, si et seulement si elle le souhaite.
Voilà !
Oh, et au passage, mettez vous bien ça dans le crâne : une cour de justice ne statue pas sur ce qui est une vérité scientifique ou non, elle tranche des litiges. Jamais une cour ne pourra dire ce qui est "vrai" scientifiquement et ce qui est faux, tout comme jamais un scientifique n'ira dire à un juge comment il doit juger telle ou telle affaire. Ce sont des domaines différents, avec des vocabulaires différents, qui ont des manières de fonctionner différentes et qui ne font pas DU TOUT le même métier. Je vous rappelle l'échelle (simplifiée) de validité des preuves/arguments :
Solide => Consensus scientifique / Méta analyse / Étude prospective de forte puissance
Présomption => Étude prospective de faible puissance
Faible => Étude rétrospective / Étude de cas-témoins
Très faible => Témoignage / Étude comportant des biais identifiés
Nul => Avis / Opinion / Préjugé / Bon sens
Vous ne trouvez pas "jugement d'une cour de justice" dans la liste ? Parce que ça n'a rien à y faire. C'est même pas un niveau de preuve "nul", c'est un niveau de preuve "hors sujet". Il s'agirait d'arrêter de tout mélanger pour, en plus, propager des idées fausses et dangereuses sur la science, la justice et la santé.