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PJL simplification : déréguler l’IA, accélérer sa fuite en avant écocide

Tue, 29 Apr 2025 12:08:28 +0000 - (source)

Ce soir ou demain seront examinĂ©s les amendements Ă  l’article 15 du projet de loi « simplification Â» de la vie Ă©conomique. La Quadrature du Net, en lien avec le collectif Le Nuage Ă©tait sous nos pieds et les membres de la coalition Hiatus, appelle Ă  sa suppression, et avec beaucoup d’autres actrices et acteurs de la sociĂ©tĂ© civile ainsi que des reprĂ©sentant·es politiques, Ă  l’instauration d’un moratoire sur les gros data centers. Participez Ă  cette bataille en vous rendant sur notre page de campagne !

Que prĂ©voit l’article 15 ?

L’article 15 du projet de loi, relatif aux centres de donnĂ©es, s’inscrit parfaitement dans cette sombre histoire : il autorise le gouvernement Ă  octroyer aux projets de construction de très gros data centers, extrĂŞmement impactants sur le plan environnemental, un statut issu de la loi de 2023 sur l’industrie verte : le label « projet d’intĂ©rĂŞt national majeur Â» (PINM). D’après le gouvernement, ce statut pourra ĂŞtre octroyĂ© aux data centers d’une surface comprise entre 30 et 50 hectares (soit jusqu’à 71 terrains de foot) !

Avec ce statut PINM, les multinationales de la tech et les fonds d’investissements qui les soutiennent se verraient assistĂ©s par le gouvernement pour imposer les data centers aux communes : l’État prendrait alors la main sur les compĂ©tences des collectivitĂ©s locales relatives Ă  l’urbanisme et Ă  l’amĂ©nagement du territoire, en menant lui-mĂŞme la réécriture des plans locaux d’urbanisme afin de les adapter aux projets concernĂ©s. Les procĂ©dures de consultation du public seraient encore allĂ©gĂ©es. Enfin, l’État pourrait accorder des dĂ©rogations aux rĂ©glementations environnementales, notamment celles relatives aux espèces protĂ©gĂ©es. En d’autres termes, l’État pourrait court-circuiter les règles existantes au nom de la « simplification Â» et « l’innovation Â» et imposer la construction de data centers polluants Ă  des communes.

Déréguler la tech

La loi « simplification Â» marque donc une Ă©tape fondamentale dans la dĂ©rĂ©gulation de l’IA, le tout au service de l’industrie de la tech et dans le contexte d’une bulle spĂ©culative autour des data centers et d’une rivalitĂ© gĂ©opolitique croissante entre les puissances impĂ©rialistes de ce monde.

Lors du sommet relatif Ă  l’IA organisĂ© par la France en fĂ©vrier dernier, la couleur Ă©tait clairement affichĂ©e. Dans son allocution, Emmanuel Macron affirmait : « Si on rĂ©gule avant d’innover, on se coupera de l’innovation Â». Le vice-prĂ©sident Ă©tasunien techno-rĂ©actionnaire JD Vance, qui avait fait le dĂ©placement Ă  Paris, n’avait pas cachĂ© sa satisfaction : « Je suis content de voir qu’un parfum de dĂ©rĂ©gulation se fait sentir dans nombre de discussions Â», avait-il dĂ©clarĂ© lors de son allocution.

En rĂ©alitĂ©, dès 2023, la France avait fait des pieds et des mains au niveau de l’Union europĂ©enne pour faire primer la sacro-sainte « innovation Â» sur les droits humains, dans le cadre des nĂ©gociations sur le règlement IA. AiguillĂ©e par l’ancien ministre CĂ©dric O devenu lobbyiste en chef de la tech française, et Ă  force de coups de pressions voulus par Emmanuel Macron, Paris Ă©tait parvenu Ă  convaincre ses partenaires europĂ©ens de privilĂ©gier une approche moins-disante. Ces renoncements se sont particulièrement fait sentir sur le front des IA policières, avec la lĂ©galisation de la reconnaissance faciale en temps rĂ©el et un certain nombre d’exceptions rĂ©servĂ©es aux forces de police et autres services de renseignement.

Dans le mĂŞme temps, toujours au nom de l’IA, on multipliait les dispositifs dĂ©rogatoires au droit, par exemple via des mĂ©canismes de « bacs-Ă -sable rĂ©glementaires Â». Et c’est dĂ©sormais le RGPD que certains aimeraient dĂ©tricoter pour « libĂ©rer Â» les IA censĂ©ment « entravĂ©es Â» par les règles adoptĂ©es pour protĂ©ger le droit Ă  la vie privĂ©e et les donnĂ©es personnelles. Loin de dĂ©fendre les « valeurs Â» associĂ©es aux droits humains, sociaux et environnementaux, l’Union europĂ©enne s’enfonce dans un suivisme mortifère face Ă  la Chine et les États-Unis, deux puissances engagĂ©es dans une course Ă  l’IA.

La technocratie en marche

Au nom de la « simplification Â», l’article 15 du projet de loi dĂ©battu par l’AssemblĂ©e nationale poursuit ce mouvement de dĂ©rĂ©gulation en rognant cette fois sur les lĂ©gislations environnementales et le droit Ă  la participation des citoyens concernant les projets de gros centres de donnĂ©es.

Parmi ces derniers, se trouvent les immenses data centers soutenus par le gouvernement français. Dans la perspective de dĂ©velopper ces infrastructures, ossature du numĂ©rique dominant, et d’accĂ©lĂ©rer l’accaparement des terres, des ressources foncières, minières, hydriques et l’exploitation des travailleur·euses qu’elles impliquent, nous voyons aujourd’hui des entreprises comme RTE, normalement garantes du service public de l’Ă©nergie vanter leur collaboration avec les multinationales Ă©tasuniennes du secteur, comme Digital Realty. Le bilan prĂ©visionnel de RTE prĂ©voit ainsi un triplement de la consommation d’électricitĂ© des data centers d’ici Ă  2035, soit autour de 4% de la consommation nationale.

Du cĂ´tĂ© du gouvernement, on voit dans les milliards d’euros d’investissements privĂ©s annoncĂ©s dans les data centers construits en France la confirmation du bien-fondĂ© de sa politique de relance du nuclĂ©aire, quitte Ă  passer sous silence les dangers et les grandes inconnues qui entourent ces programmes. Quitte aussi Ă  engager une relance dĂ©bridĂ©e de l’extractivisme minier et des prĂ©dations qui y sont liĂ©es, comme y encourage l’article 19 de ce mĂŞme projet de loi « simplification Â». Quitte, enfin, Ă  museler les contestations, Ă  s’asseoir sur le droit Ă  la consultation du public et Ă  rogner encore un peu plus sur les compĂ©tences de la Commission nationale du dĂ©bat public, qui depuis des annĂ©es demande Ă  ĂŞtre saisie lors de la construction des centres de donnĂ©es.

Ă€ la clĂ©, c’est d’abord l’impossibilitĂ© d’une politique de sobriĂ©tĂ© collective pour faire face aux crises sociales, climatiques et Ă©cologiques. Avec l’augmentation de la demande liĂ©e aux data centers, c’est aussi la perspective d’une explosion des prix de l’Ă©lectricitĂ©, la prĂ©caritĂ© Ă©nergĂ©tique qu’elle suppose et des risques dĂ©cuplĂ©s de conflits d’usage. Car, Ă  la mesure de leurs moyens financiers, l’appĂ©tit des gĂ©ants de la tech en Ă©lectricitĂ© est insatiable. Il y a quelques jours, Eric Schmidt, ancien PDG de Google et Ă©missaire de la Silicon Valley Ă  Washington, l’admettait sans dĂ©tour devant une commission du Congrès Ă©tasunien au sujet du dĂ©veloppement de l’IA :

« Ce que nous attendons de vous [le gouvernement], c’est que nous [la tech] ayons de l’Ă©nergie sous toutes ses formes, qu’elle soit renouvelable, non renouvelable, peu importe. Il faut qu’elle soit lĂ , et qu’elle soit lĂ  rapidement. De nombreuses personnes prĂ©voient que la demande pour notre industrie passera de 3 % Ă  99 % de la production totale [d’Ă©lectricitĂ© au niveau mondial] (…) Â».

Aux États-Unis, de nombreux producteurs d’électricitĂ© s’apprĂŞtent ainsi Ă  rallumer des centrales Ă  gaz ou au charbon, ou Ă  retarder leur fermeture face Ă  la consommation croissante des data centers. Technofascisme et carbofascisme vont indĂ©niablement de pair.

Contre cette fuite en avant, il faut voter contre l’article 15 du projet de loi, et soutenir un moratoire sur les gros data centers, le temps que les conditions d’une maĂ®trise collective des infrastructures numĂ©riques puissent ĂŞtre posĂ©es. La balle est dĂ©sormais dans le camp des parlementaires. Retrouvez notre pour contacter vos reprĂ©sentant·es Ă  l’AssemblĂ©e et peser sur leur vote !


Loi « simplification » : stop au boom des data centers ! 

Wed, 09 Apr 2025 12:43:15 +0000 - (source)

Aujourd’hui Ă  l’AssemblĂ©e nationale dĂ©bute l’examen en sĂ©ance du projet de loi relatif Ă  la simplification de la vie Ă©conomique. Une loi d’apparence technique, aux enjeux obscurs, mais qui marque un nouveau coup de force au service de l’industrie, et au dĂ©triment des droits humains et de l’environnement. L’article 15 du projet de loi, dans la droite ligne des promesses faites par Emmanuel Macron aux investisseurs lors du sommet IA de fĂ©vrier dernier, vise Ă  accĂ©lĂ©rer la construction d’immenses data centers en permettant Ă  l’État de les imposer aux collectivitĂ©s locales et Ă  la population. Contre ce coup de force visant Ă  Ă©riger ces infrastructures au bĂ©nĂ©fice des gĂ©ants de la tech et au prix d’un accaparement des ressources foncières, Ă©lectriques et hydriques, un large front de la sociĂ©tĂ© civile appelle Ă  la suppression de cet article et Ă  la mise en place d’un moratoire sur la construction des gros data centers.

La simplification, cheval de Troie de la dérégulation

L’examen du projet de loi « simplification Â» commence aujourd’hui Ă  l’AssemblĂ©e nationale, dans une certaine indiffĂ©rence. Les enjeux sont pourtant majeurs. Comme le rappelle France Nature Environnement dans ce rapport tout juste sorti qui dresse le bilan de 20 ans de lois de « simplification Â», ces dernières apparaissent en fait comme « un cheval de Troie de la dĂ©rĂ©gulation, un processus insidieux et malhonnĂŞte qui affaiblit l’État de droit et la justice environnementale, et met en pĂ©ril la protection des Ă©cosystèmes et la construction d’un monde vivable Â».

L’article 15 du projet de loi, relatif aux centres de donnĂ©es, s’inscrit parfaitement dans cette sombre histoire : il autorise le gouvernement Ă  octroyer aux projets de construction de très gros data centers, extrĂŞmement impactants sur le plan environnemental, un statut issu de la loi de 2023 sur l’industrie verte : le label « projet d’intĂ©rĂŞt national majeur Â» (PINM). D’après le gouvernement, ce statut pourra ĂŞtre octroyĂ© aux data centers d’une surface comprise entre 30 et 50 hectares (soit jusqu’à 71 terrains de foot) !

Avec ce statut PINM, les multinationales de la tech et les fonds d’investissements qui les soutiennent Ă  coup de dizaines de milliards d’euros se verraient assistĂ©s par le gouvernement pour imposer les data centers aux communes : l’État prendrait alors la main sur les compĂ©tences des collectivitĂ©s locales relatives Ă  l’urbanisme et Ă  l’amĂ©nagement du territoire, en menant lui-mĂŞme la réécriture des plans locaux d’urbanisme afin de les adapter aux projets concernĂ©s. Les procĂ©dures de consultation du public seraient encore allĂ©gĂ©es. Enfin, l’État pourrait accorder des dĂ©rogations aux rĂ©glementations environnementales, notamment celles relatives aux espèces protĂ©gĂ©es. En d’autres termes, l’État pourrait court-circuiter les règles existantes au nom de la « simplification Â» et « l’innovation Â» et imposer la construction de data centers polluants Ă  des communes.

Moratoire !

Depuis plusieurs semaines, le collectif Le Nuage Ă©tait sous nos pieds, qui s’est organisĂ© Ă  Marseille pour rĂ©sister Ă  la flambĂ©e des centres de donnĂ©es dans la citĂ© phocĂ©enne, et La Quadrature du Net, en lien avec les autres membres de la coalition Hiatus (lancĂ©e en fĂ©vrier pour « rĂ©sister Ă  l’IA et son monde Â»), appellent Ă  deux choses : d’une part, la suppression de l’article 15, et d’autre part l’adoption d’un moratoire sur la construction des grands entrepĂ´ts Ă  serveurs.

Issus de contacts pris au niveau politique, plusieurs amendements visaient justement Ă  relayer ces revendications. Des amendements de suppression de l’article 15 ont ainsi Ă©tĂ© dĂ©posĂ©s par le Parti socialiste, les dĂ©puté·es Ă©cologistes ou La France insoumise. C’est lĂ  notre revendication, urgente et minimale : pour la dĂ©fendre, contacter vos dĂ©puté·es et les convaincre d’adopter ces amendements, rendez-vous sur cette page oĂą vous trouverez un argumentaire en appui de ces positions.

Mais d’autres amendements, fondĂ©s sur , ont Ă©tĂ© dĂ©posĂ©s en vue d’un objectif plus ambitieux : instaurer un moratoire sur la construction de gros data centers, le temps qu’une convention citoyenne puisse poser les bases d’un dĂ©bat sur l’encadrement adĂ©quat du dĂ©veloppement des infrastructures numĂ©riques. Or, alors que ces amendements de moratoire avaient Ă©tĂ© dĂ©posĂ©s et examinĂ©s en commission courant mars sans aucun problème, cette fois-ci pour l’examen en sĂ©ance, les services de l’AssemblĂ©e les ont dĂ©clarĂ©s irrecevables car contraires Ă  l’article 40 de la Constitution. Apparemment, un tel moratoire ou l’organisation d’une convention citoyenne contribuerait Ă  « aggraver une charge Â» ou Ă  « diminuer les ressources Â» publiques. Impossible donc pour le Parlement d’appeler Ă  une convention citoyenne en dehors d’une loi de finances ? Le Â« parlementarisme rationalisĂ© Â» a encore frappĂ© !

Principe de réalité démocratique

C’est d’autant plus regrettable que le principe d’un moratoire â€” une manière de poser les bases d’une maĂ®trise dĂ©mocratique des data centers, et de contrer les vellĂ©itĂ©s du gouvernement d’accĂ©lĂ©rer toujours plus au mĂ©pris des droits et de la dĂ©mocratie â€” fait consensus auprès d’une diversitĂ© d’acteurs.

Un large front de la sociĂ©tĂ© civile, incluant des chercheur·euses, des militant·es, ainsi que des reprĂ©sentant·es politiques, appellent ainsi, dans une tribune parue dans LibĂ©ration, Ă  la mise en place d’un tel moratoire. Ă€ Marseille, l’enquĂŞteur public chargĂ© d’instruire le dossier de l’entrepĂ´t logistique SEGRO doublĂ© d’un data center, vient d’appeler lui aussi, dans ses recommandations adressĂ©es aux instances rĂ©gionales, Ă  « effectuer une pause pour mettre les acteurs autour d’une table, en imposant un moratoire Â». De mĂŞme en Irlande, oĂą les data centers reprĂ©sentent aujourd’hui plus de 20% de la consommation Ă©lectrique du pays, la rĂ©gion de Dublin est soumise Ă  un moratoire de fait jusqu’en 2028 au moins. Bref, cette option politique est non seulement possible, mais aussi rĂ©aliste et nĂ©cessaire pour commencer Ă  remettre le numĂ©rique Ă  sa place, Ă  l’heure oĂą l’essor de l’IA conduit Ă  une fuite en avant spĂ©culative dans le dĂ©veloppement de ces infrastructures.

Alors ne lâchons rien ! Rendez-vous sur notre page de campagne pour pousser les dĂ©puté·es Ă  voter la suppression de l’article 15 de la loi « simplification Â», et Ă  exiger du gouvernement la mise en place d’un moratoire sur les centres de donnĂ©es ! Vous pouvez aussi nous soutenir dans ce combat en faisant un don Ă  La Quadrature.


Tribune : Contre la «loi simplification», ralentissons et osons faire front commun

Tue, 08 Apr 2025 21:33:00 +0000 - (source)

Parce qu’il est urgent de reprendre le contrôle sur les infrastructures du numérique, plusieurs communautés s’organisent déjà pour résister. Un collectif de responsables d’associations, de syndicats et de militants demande un moratoire sur la construction de nouveaux «datacenters» ainsi que la mise en place de débats publics.

Cette tribune a d’abord Ă©tĂ© publiĂ©e sur LibĂ©ration.fr.

Du 8 au 11 avril, l’AssemblĂ©e nationale dĂ©bat du projet de loi de simplification de la vie Ă©conomique (PLS). On y trouve de nombreuses mesures dĂ©rogatoires au droit commun, une perte de pouvoir de la Commission nationale du dĂ©bat public, un retour en arrière sur la loi ZĂ©ro artificialisation nette, sur la protection des espèces menacĂ©es, une perte des compĂ©tences des collectivitĂ©s territoriales. Il s’agit d’un dĂ©mantèlement lent mais assurĂ© des maigres lĂ©gislations Ă©cologiques et dĂ©mocratiques qui encadraient encore les Ă©lans du capitalisme technologique.

Le PLS concerne aussi la facilitation des installations industrielles notamment minières, prétendument de transition énergétique et paradoxalement associées aux infrastructures du numérique, comme les data centers, dont il s’agirait de faciliter l’installation en France pour une supposée souveraineté numérique.

Les infrastructures du numérique, qui permettent à l’information numérique de circuler et aux services du cloud d’apparaître sur nos écrans, sont organisées en data centers interconnectés par les câbles de fibres optiques sous-marins. Et pour faire des data centers, des câbles et les usines de production énergétique pour les alimenter, il faut des mines, d’où sont extraits les minerais qui composeront les puces des serveurs et des cartes graphiques, nécessaires au fonctionnement desdites intelligences artificielles.

Le cloud Ă©tait sous nos pieds : le dĂ©ploiement des infrastructures du numĂ©rique est soutenu par une relance dĂ©bridĂ©e de l’extractivisme et des prĂ©dations qui y sont liĂ©es. Elles sont les nouvelles infrastructures de la domination impĂ©rialiste : il faut en ĂŞtre pour continuer Ă  faire partie des grandes puissances mondiales, quitte Ă  ouvrir grand les portes Ă  tous ces investisseurs privĂ©s pour faire de la France une «data center nation». Alors que les dĂ©pendances technologiques envers les multinationales Ă©tasuniennes alignĂ©es derrière le programme d’extrĂŞme droite de Donald Trump sont croissantes, le temps ne peut pas ĂŞtre Ă  la dĂ©rĂ©gulation.

Rester dans la course de l’IA

Le projet de loi Simplification propose de confĂ©rer aux data centers le statut de projet d’intĂ©rĂŞt national majeur. Par lĂ , il faut entendre le statut de raison impĂ©rative pour rester dans la course Ă  l’IA. Tant pis si vous devez attendre dix ans de plus l’électrification d’activitĂ©s polluantes ; tant pis si les massacres en RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo redoublent d’intensitĂ© ; tant pis pour les terres que les paysannes abandonnent, faute d’eau disponible, tant pis si on ne sait toujours pas rĂ©employer les puces et si les dĂ©charges de dĂ©chets du numĂ©rique s’étendent Ă  perte de vue ; tant pis si les data centers dans lesquels on stocke les donnĂ©es de l’Etat sont soumis aux lois Ă©tats-uniennes ; tant pis si la vitalitĂ© des quartiers populaires est sacrifiĂ©e aux chaleurs produites des rĂ©frigĂ©rateurs gĂ©ants. Il n’y a pas de nĂ©gociations Ă  avoir. Au contraire, le gouvernement propose de graver dans la loi une fiscalitĂ© allĂ©gĂ©e et un accès prioritaire au rĂ©seau Ă©lectrique public. Le numĂ©rique dominant s’impose, rendant obsolète nos machines, nos compĂ©tences et parfois mĂŞme nos corps.

Nous pensons que le moment est venu de reprendre le contrôle collectivement sur les infrastructures du numérique. La souveraineté numérique, ça ne peut pas être de tenter désespérément d’arracher un segment d’une chaîne de valeur contrôlée par des multinationales étrangères en les attirant sur le territoire français avec une législation et une fiscalité aguicheuse.

D’autres manières d’hériter de ce monde abîmé

Partout sur le territoire et Ă  l’étranger, de nombreuses communautĂ©s s’organisent dĂ©jĂ  pour rĂ©sister Ă  ce numĂ©rique dominant : collectifs en lutte contre les projets miniers, contre les fonderies de puces microĂ©lectroniques dĂ©diĂ©es Ă  l’armement et aux gourdes connectĂ©es, contre les implantations de data centers s’appropriant l’eau des rivières ou l’eau potable, ou les importations croissantes des minerais de sang ; riverain·e·s qui suffoquent dĂ©jĂ  trop de la toxicitĂ© de ce monde industriel, qui voient des projets d’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral rendus impossibles par la saturation des rĂ©seaux d’électricitĂ© ou qui cherchent Ă  privilĂ©gier des lieux de vie oĂą on privilĂ©gie l’humain ; comme les chercheur·euse·s qui documentent les impacts Ă©cologiques du numĂ©rique, les dĂ©chets produits, qui Ă©tudient la dĂ©chĂ©ance des utopies d’Internet ou encore les dimensions gĂ©opolitiques croissantes ; comme les artistes et designers qui cherchent Ă  fabriquer d’autres rĂ©cits et d’autres manières d’hĂ©riter de ce monde abĂ®mĂ©, ou qui inventent des rĂ©seaux sociaux qui tiennent avec un tĂ©lĂ©phone portable pour serveurs ; comme les communautĂ©s de logiciels libres et leshackerspacesqui fabriquent des serveurs low tech.

A l’opposé de cette loi, nous demandons collectivement un moratoire sur la construction de nouveaux data centers et la mise en place de débats publics, qui pourraient prendre la forme de conventions citoyennes, ainsi qu’un soutien aux projets de recherches actions ayant pour objectif de mettre au travail des alternatives réelles et de célébrer la joie qui circule quand on parvient à penser ensemble.

Contre la fuite en avant, ralentissons et osons faire monde commun.

Signataires : Julie Ferrua CodĂ©lĂ©guĂ©e gĂ©nĂ©rale de l’Union syndicale Solidaires Raquel Radaut Porte-parole de la Quadrature du Net OphĂ©lie Coelho Chercheuse associĂ©e Ă  l’Institut de relations internationales et stratĂ©giques(Iris), Centre Internet et SociĂ©tĂ©, autrice Baptiste Hicse Membre du collectif StopMicro Annick Ordille Membre du collectif le Nuage Ă©tait sous nos pieds SĂ©bastien Barles Adjoint au maire de Marseille, en charge de la transition Ă©cologique Camille Etienne Autrice et militante Ă©cologiste David Cormand DĂ©putĂ© europĂ©en Ă©cologiste ClĂ©ment Marquet ChargĂ© de recherches en sciences techniques et sociĂ©tĂ©, Mines Paris-PSL David Maenda Kithoko PrĂ©sident deGĂ©nĂ©ration Lumière Aurora GĂłmez Delgado Porte-parole du collectif TuNubeSecaMiRĂ­o Manuel Bompard DĂ©putĂ© des Bouches-du-RhĂ´ne (LFI), Adrien Montagut Codirigeant de la coopĂ©rativeCommownen charge des affaires publiques Lou Welgryn SecrĂ©taire gĂ©nĂ©rale de Data for Good JĂ©rĂ´me Moly PrĂ©sident de l’association GreenIt…

La totalitĂ© des signataires est ici.


QSPTAG #320 — 4 avril 2025

Fri, 04 Apr 2025 16:31:34 +0000 - (source)

Lire sur le site

La loi « Narcotrafic Â» Ă©tend le domaine du flicage numĂ©rique

Le 11 mars dernier, on publiait un article avec un zeste de rĂ©jouissance dans un grand seau de prudence : la commission des Lois de l’AssemblĂ©e nationale avait supprimĂ© la plupart des articles les plus liberticides de la loi « Narcotrafic Â». Cette rĂ©action des dĂ©puté·es ne venait pas de nulle part, vous avez agi en nombre pour les interpeller — bravo et merci ! Mais si des mesures dĂ©sastreuses avaient sautĂ© en commission (on pense en particulier Ă  la menace qui pesait sur le chiffrement des messageries), d’autres mesures Ă©taient malheureusement restĂ©es, et on s’attendait Ă  ce que les pires reviennent par amendements du gouvernement au moment de la discussion dans l’HĂ©micycle. Badaboum, ça n’a pas ratĂ©.

Le gouvernement, reprĂ©sentĂ© par le ministre de l’IntĂ©rieur Retailleau et soutenu par quelques dĂ©putĂ©s de la droite et de l’extrĂŞme-droite, a de nouveau dĂ©fendu l’idĂ©e d’une « backdoor Â» pour la police et le renseignement dans les messageries chiffrĂ©es, en camouflant cette rupture du chiffrement sous des appellations alambiquĂ©es (un « utilisateur fantĂ´me Â» qui s’inviterait dans les conversations, par exemple). Heureusement, les dĂ©puté·es ne se sont pas laissĂ© avoir, pour le plus grand dĂ©pit des dĂ©fenseurs de la mesure qui ont mĂŞme dĂ©noncĂ© un « concours des geeks Â». La compromission du chiffrement a Ă©tĂ© rejetĂ©e.

Mais il reste le reste. L’activation Ă  distance des appareils numĂ©riques (micros et camĂ©ras) pour les transformer en mouchards : adoptĂ©e. L’extension du pĂ©rimètre des « boĂ®tes noires Â» de renseignement qui analysent le rĂ©seau pour trouver les comportements « suspects Â» : adoptĂ©e. La crĂ©ation d’un « dossier coffre Â», c’est-Ă -dire que les procès-verbaux d’instruction ne dĂ©criront plus les mĂ©thodes de surveillance utilisĂ©es : adoptĂ©e. Les personnes visĂ©es par la dĂ©finition large et mouvante de la « criminalitĂ© en bande organisĂ©e Â» pourront donc ĂŞtre surveillĂ©es par tous les moyens et ne pourront plus contester la lĂ©galitĂ© de ces moyens devant le tribunal (lieux de vie « sonorisĂ©s Â», etc.). La main sur le cĹ“ur, en jurant de s’attaquer aux « narcotrafiquants Â», les parlementaires ont validĂ© des mesures qui pourront ĂŞtre utilisĂ©es contre des militants politiques, des activistes Ă©cologiques, des opposants Ă  l’industrie polluante et aux autoroutes inutiles, des syndicalistes qui prĂ©parent une manifestation ou une occupation d’usine. Et ce faisant, ils ont rĂ©duit les droits politiques de tout le monde.

Comme le texte votĂ© par l’AssemblĂ©e nationale n’est pas identique Ă  celui que le SĂ©nat avait adoptĂ©, il y aura une commission mixte paritaire (CMP) dans le courant du mois d’avril et un nouveau vote dans les deux chambres Ă  la fin du mois. On suit ça de près et on vous tient au courant !

La page de la campagne : Contre la loi surveillance et narcotraficotage
Article du 11 mars : Loi « Narcotraficotage Â» : la mobilisation paye alors ne lâchons rien
Article du 18 mars : Le gouvernement prĂŞt Ă  tout pour casser le droit au chiffrement

Loi «Transports Â» et prolongement de la VSA

Le 18 mars dernier, avant de commencer l’examen de la loi « Narcotrafic Â», l’AssemblĂ©e nationale a votĂ© la loi « Transports Â». Quel rapport ? Encore des mesures de surveillance numĂ©rique. Cette loi sur « la sĂ©curitĂ© dans les transports Â» a donc Ă©tĂ© le vĂ©hicule choisi par le gouvernement pour prolonger l’expĂ©rimentation de la vidĂ©osurveillance algorithmique (VSA) qui avait Ă©tĂ© mise en place Ă  l’occasion de la loi «Jeux Olympiques Â». AutorisĂ©e au dĂ©part jusqu’Ă  mars 2025, cette expĂ©rimentation aux rĂ©sultats pourtant très dĂ©cevants est donc prolongĂ©e de deux ans, jusqu’en mars 2027, au mĂ©pris du processus d’Ă©valuation pourtant dĂ©fini un an avant par la mĂŞme AssemblĂ©e. Ce passage en force n’est malheureusement qu’un signe supplĂ©mentaire du mĂ©pris de l’exĂ©cutif pour les institutions et tout ce qui le gĂŞne. Un article sombre et Ă©nervĂ© Ă  lire sur notre site.

Article du 17 mars : Prolongement de la VSA : la petite danse autoritaire du gouvernement

Data centers partout, réflexion nulle part

Quand on pense Ă  l’intelligence artificielle, on n’imagine pas d’abord les bĂ©tonnières, les pylĂ´nes Ă©lectriques et les rivières Ă  sec. C’est pourtant un aspect non nĂ©gligeable de la course mondiale aux serveurs et aux centres de donnĂ©es gĂ©ants. Lors du Sommet de Paris sur l’IA en fĂ©vrier dernier, Emmanuel Macron a mis en avant l’Ă©lectricitĂ© nuclĂ©aire française, moins chère et moins carbonĂ©e, et invitĂ© les opĂ©rateurs Ă©trangers Ă  venir en profiter, son « Plug, baby, plug Â» rĂ©pondant au « Drill, baby, drill Â» lancĂ© par Donal Trump en direction des compagnies pĂ©trolières.

Après les annonces en grand pompe, il faut tenir ses promesses. La « loi pour la simplification Ă©conomique Â», en discussion Ă  l’AssemblĂ©e après son adoption par le SĂ©nat, est justement lĂ  pour lever un certain nombre de contraintes rĂ©glementaires, administratives et fiscales et faciliter la vie des investisseurs et des industriels. L’article 15 concerne prĂ©cisĂ©ment la construction des centres de donnĂ©es gĂ©ants : l’État prendrait la main sur les pouvoirs locaux pour imposer ces grands chantiers, y compris au mĂ©pris des règles environnementales.

Dans le cadre de notre travail sur l’IA et de la coalition Hiatus pour rĂ©sister Ă  l’IA et son monde, nous appelons donc Ă  la mobilisation contre cette loi et son article 15, et nous demandons un moratoire de deux ans sur la construction de centres de donnĂ©es gĂ©ants, le temps de discuter de leur encadrement. Contre la fuite en avant techno-n’importe quoi, contre la course Ă©conomique des poulets sans tĂŞte, exigeons un dĂ©bat dĂ©mocratique sur les besoins et les moyens de notre dĂ©veloppement collectif.

Article du 21 mars : Loi « simplification Â» : un dĂ©ni de dĂ©mocratie pour mieux imposer les data centers
Page de campagne pour peser sur le vote des : Mobilisation pour un moratoire sur les gros data centers !

Le Conseil d’État donne une leçon de censure

Oui, le blocage de TikTok en Nouvelle-CalĂ©donie en mai 2024 Ă©tait illĂ©gal. On le disait dĂ©jĂ , et c’est le Conseil d’État qui le confirme dans sa dĂ©cision du 1er avril. Malheureusement, la dĂ©cision est aussi très inquiĂ©tante. Car si le blocage est jugĂ© disproportionnĂ©, le principe de couper un rĂ©seau est, en tant que tel, validĂ©. Dans sa dĂ©cision, le Conseil d’État explique ce que le gouvernement aurait dĂ» faire pour justifier le blocage de l’application et donne par lĂ  un mode d’emploi très simple Ă  tous les gouvernements, prĂ©sents ou Ă  venir, qui voudraient s’en prendre Ă  la libertĂ© d’expression. Qui pourra se plaindre quand un gouvernement RN fera ce qu’il voudra en brandissant la dĂ©cision du CE ?

Si vous avez l’intention de prendre le pouvoir, d’invoquer des circonstances exceptionnelles et de censurer des services numĂ©riques, ne vous lancez pas dans le vide : lisez d’abord notre article, on vous explique le raisonnement du Conseil (pour la censure) d’État.

Article du 2 avril : Blocage de Tiktok en Nouvelle-CalĂ©donie : le Conseil d’État se dĂ©robe en faveur de l’arbitraire

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Blocage de Tiktok en Nouvelle-Calédonie : le Conseil d’État se dérobe en faveur de l’arbitraire

Wed, 02 Apr 2025 14:53:14 +0000 - (source)

On aurait prĂ©fĂ©rĂ© que ce soit un poisson d’avril : dans une dĂ©cision rendue ce 1er avril 2025, le Conseil d’État a validĂ© le principe de la censure arbitraire et opaque d’un rĂ©seau social. Derrière l’apparente annulation de la dĂ©cision du Premier ministre de l’Ă©poque, Gabriel Attal, de bloquer Tiktok, la plus haute juridiction française offre en rĂ©alitĂ© le mode d’emploi de la « bonne censure Â». Cette dĂ©cision est inquiĂ©tante, tant cette affaire aura montrĂ© l’inefficacitĂ© du Conseil d’État Ă  ĂŞtre un rempart efficace contre le fascisme montant.

Le 15 mai 2024, alors que la Nouvelle-CalĂ©donie Ă©tait le théâtre d’une très forte contestation sociale dans un contexte de passage en force d’une rĂ©forme du collège Ă©lectoral calĂ©donien, le Premier ministre Gabriel Attal annonçait, en mĂŞme temps que l’activation de l’Ă©tat d’urgence, la censure de Tiktok sur tout le territoire de Nouvelle-CalĂ©donie.

Comme La Ligue des droits de l’homme, ainsi que des habitant·es calĂ©donien·nes, La Quadrature du Net avait attaquĂ© en rĂ©fĂ©rĂ© cette dĂ©cision. Ce premier recours avait Ă©tĂ© rejetĂ© dans les jours qui suivirent pour dĂ©faut d’urgence, mais nous n’avions pas voulu lâcher l’affaire et avions continuĂ© notre combat contre cette mesure de blocage en l’attaquant Ă  nouveau, cette fois par la procĂ©dure classique -dite « au fond Â»- qui a conduit Ă  la dĂ©cision d’hier.

Formellement, le Conseil d’État a annulĂ© le blocage de Tiktok. Mais derrière cette apparente victoire se cache une dĂ©cision qui ouvre la voie Ă  de futures censures de plateformes en ligne en dehors de tout contrĂ´le dĂ©mocratique.

La validation d’un arbitraire d’État

Cette affaire aura Ă©tĂ© l’occasion de tous les arbitraires. Pour justifier factuellement son blocage, le gouvernement a toujours louvoyĂ© (voir notre rĂ©capitulatif de l’affaire), laissant croire que ce serait d’abord pour lutter contre le terrorisme, puis contre des ingĂ©rences Ă©trangères, pour enfin expliquer que de simples contenus violents l’autorisaient Ă  procĂ©der Ă  un tel blocage (nous revenons sur ce point plus bas). Par la suite, il justifiait lĂ©galement ce blocage en sortant de son chapeau la « thĂ©orie des circonstances exceptionnelles Â». Cette thĂ©orie est une invention du juge administratif datant de plus d’un siècle. Elle a Ă©tĂ© Ă©laborĂ©e Ă  l’occasion d’une guerre – c’est-Ă -dire dans un contexte de suspension du pouvoir civil – et n’avait jamais Ă©tĂ© utilisĂ©e jusqu’Ă  prĂ©sent pour justifier de porter atteinte Ă  la libertĂ© d’expression.

Dans sa dĂ©cision, le Conseil d’État admet que cette « thĂ©orie des circonstances exceptionnelles Â» puisse ĂŞtre invoquĂ©e, pour justifier lĂ©galement le blocage d’une plateforme en ligne dans le cas d’une « pĂ©riode de troubles Ă  l’ordre public d’une gravitĂ© exceptionnelle Â». ArrĂŞtons-nous dĂ©jĂ  sur cette première brèche Ă  l’État de droit : cela signifie que lorsque cette condition de « trouble Â» est remplie, un gouvernement peut donc porter des atteintes Ă  la libertĂ© d’expression, alors qu’aucune loi existante ne l’y autorise et donc qu’aucune condition prĂ©vue par le lĂ©gislateur n’est Ă  respecter. Cette « thĂ©orie des circonstances exceptionnelles Â» n’a jamais Ă©tĂ© reprise par le lĂ©gislateur : elle ne comporte aucune limite prĂ©cise et n’est prĂ©sente nulle part ailleurs que dans les quelques dĂ©cisions du Conseil d’État. Ce dernier autorise donc un empiĂ©tement pur et simple du pouvoir exĂ©cutif sur le pouvoir lĂ©gislatif.

Et quels sont ces « troubles Ă  l’ordre public d’une gravitĂ© exceptionnelle Â» qui permettent de nier le principe de sĂ©paration des pouvoirs ? On peut lĂ©gitimement se demander si les manifestations des gilets jaunes en 2018 et 2019, Ă©maillĂ©es de violences souvent entretenues par une politique de maintien de l’ordre dĂ©sastreuse, auraient pu ĂŞtre qualifiĂ©es de suffisamment graves. De mĂŞme, les rĂ©voltes suite Ă  la mort de Nahel Merzouk auraient-elles pu justifier le blocage des rĂ©seaux sociaux alors que la droite rĂ©actionnaire française voyait dans ces derniers le coupable idĂ©al et que Emmanuel Macron s’Ă©tait, Ă  cette occasion, prononcĂ© en faveur de leur censure ?

Ne soyons pas naĂŻf·ves : tout est « exceptionnellement grave Â» pour l’exĂ©cutif et la police. Grâce Ă  cette notion floue, la voie Ă  tous les abus est ouverte. N’importe quoi servira de prĂ©texte, demain, pour continuer dans la direction de la censure, de la rĂ©ponse rĂ©pressive facile au lieu d’une remise en cause profonde du système qui a conduit aux violences.

Et l’arbitraire d’État ne s’arrĂŞte pas lĂ  : le Conseil d’État a, d’une certaine manière, autorisĂ© le gouvernement Ă  ne pas respecter la loi lorsque celle-ci ne lui convient pas. En effet, au moment de la censure, la loi sur l’Ă©tat d’urgence avait Ă©tĂ© dĂ©clenchĂ©e. Celle-ci autorisait bel et bien le blocage d’une plateforme, mais uniquement dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Or, dans le cas du blocage de Tiktok, il ne s’agissait justement pas de lutte contre le terrorisme. Alors qu’une telle possibilitĂ© de censure visant une plateforme en ligne, prĂ©vue par la loi sur l’Ă©tat d’urgence, est dĂ©jĂ  très contestable en soi1Nous avions initialement demandĂ© Ă  ce qu’une question prioritaire de constitutionnalitĂ© (QPC) soit transmise au Conseil constitutionnel. Celle-ci a Ă©tĂ© rejetĂ©e par le Conseil d’État parce qu’il estimait que la loi sur l’Ă©tat d’urgence n’Ă©tait pas applicable au litige puisqu’il ne s’agissait pas de lutte contre le terrorisme., le Conseil d’État neutralise encore plus le lĂ©gislateur en permettant d’avoir recours Ă  une thĂ©orie jurisprudentielle qui permet de contourner ces limites.

Un contrĂ´le juridictionnel de pacotille

L’auditoire optimiste pourrait se dire que le juge administratif resterait prĂ©sent pour empĂŞcher les abus de ce recours Ă  la censure en cas de « troubles Ă  l’ordre public d’une gravitĂ© exceptionnelle . Et après tout, en ce qui concerne Tiktok, on pourrait ĂŞtre tentĂ© de se rassurer par le fait que la dĂ©cision de censurer le rĂ©seau social a finalement Ă©tĂ© annulĂ©e par le Conseil d’État. Pourtant, dans cette affaire, après avoir refusĂ© d’agir au moment oĂą sa dĂ©cision aurait Ă©tĂ© utile, c’est-Ă -dire lorsqu’il Ă©tait saisi en rĂ©fĂ©rĂ© l’annĂ©e dernière, le Conseil d’État a repris Ă  son compte toutes les affirmations grossières du gouvernement pour justifier le besoin de bloquer la plateforme.

La question de l’existence de certains contenus qui seraient illĂ©gaux au point de couper tout le rĂ©seau social a Ă©tĂ© longuement dĂ©battue en mai 2024 Ă  l’occasion de notre rĂ©fĂ©rĂ©. Après avoir Ă©tĂ© mis en difficultĂ© lors de l’audience de rĂ©fĂ©rĂ©, le gouvernement s’Ă©tait enfin dĂ©cidĂ© Ă  produire des exemples de contenus prĂ©tendument illicites… qui Ă©taient en fait totalement lĂ©gaux. Nous publions ces contenus2Politico avait dĂ©jĂ  publiĂ© certains de ces contenus l’annĂ©e dernière. pour que chacun·e puisse constater que leur illĂ©galitĂ© ne saute pas aux yeux : dĂ©noncer des violences policières, la constitution de milices privĂ©es avec le soutien des forces de l’ordre, les agressions racistes sur des policiers kanaks, ou encore prendre des photos ou vidĂ©os de lieux en flamme comme l’a fait la presse locale est donc, pour le gouvernement, susceptible de justifier une restriction Ă  la libertĂ© d’expression…

Depuis ces quelques exemples produits l’annĂ©e dernière, le gouvernement n’a pas complĂ©tĂ© ses dires. On devine un certain embarras Ă  travers ce silence sur ces fameux contenus censĂ©s ĂŞtre « violents Â» : cette dĂ©cision de bloquer Tiktok ne semble en rĂ©alitĂ© pas avoir Ă©tĂ© prise en raison d’un besoin impĂ©ratif pour restaurer l’ordre sur l’archipel, mais pour couvrir une dĂ©cision politique du Haut-Commissaire (l’Ă©quivalent du prĂ©fet en Nouvelle-CalĂ©donie). Fin mai 2024, La Lettre Ă©crivait ainsi que « Très vite, cependant, le premier ministre a Ă©tĂ© averti de la fragilitĂ© juridique de cette dĂ©cision, prise par le haut-commissaire Louis Le Franc, Ă  la demande du Gouvernement de la Nouvelle-CalĂ©donie, l’organe exĂ©cutif de la collectivitĂ© prĂ©sidĂ© par Louis Mapou. Â» Le mĂ©dia spĂ©cialisĂ© prĂ©cisait Ă©galement que « l’exĂ©cutif a Ă©cartĂ© l’hypothèse de dĂ©savouer publiquement le haut-commissaire et les Ă©lus locaux Â» et que le gouvernement n’avait « aucun grief contre TikTok Â». Ce qu’a admis en creux le reprĂ©sentant de Tiktok quelques jours après devant le SĂ©nat : il a indiquĂ©, sous serment, que la plateforme n’a non seulement pas reçu de demande de retrait de contenus de la part de l’exĂ©cutif, mais n’a Ă©galement pas dĂ©tectĂ© lui-mĂŞme de contenus illicites une fois le blocage dĂ©cidĂ© par le gouvernement.

Tout cela n’a pourtant pas empĂŞchĂ© le Conseil d’État de valider l’obsession gouvernementale. Pour les juges, il s’agit bien de « contenus incitant au recours Ă  la violence Â»3Les juristes remarqueront probablement que le Conseil d’État ne parle plus de contenus « manifestement illicites Â», mais adopte une formulation beaucoup plus englobante.. Pour appuyer l’illĂ©galitĂ© des contenus diffusĂ©s Ă  l’Ă©poque sur Tiktok, le Conseil d’État explique que les « algorithmes Â» de ce rĂ©seau social favoriseraient leur diffusion très rapide. Il est vrai que des Ă©tudes, notamment d’Amnesty International, ont montrĂ© la grande toxicitĂ© des choix algorithmiques de Tiktok. Et nous ne nous cachons pas sur le fait que nous combattons en gĂ©nĂ©ral ce modèle Ă©conomique et technique de rĂ©seau social. Mais, pour ce qui est de la Nouvelle-CalĂ©donie, le gouvernement s’est contentĂ© d’affirmations non-sourcĂ©es, sans rien dĂ©montrer. Dans son mĂ©moire, le Premier ministre affirmait ainsi simplement que le choix de bloquer Tiktok Ă©tait justifiĂ© par « les caractĂ©ristiques des algorithmes utilisĂ©s par “Tiktok”, qui amplifient l’effet de valorisation mimĂ©tique Â» sans fournir d’Ă©tude ni mĂŞme de constatations par ses services. Autrement dit, le Conseil d’État se contente d’affirmations du gouvernement pour en faire une gĂ©nĂ©ralitĂ©, crĂ©ant ainsi une forme de prĂ©somption de nĂ©cessitĂ© de bloquer Tiktok. Et, Ă  supposer mĂŞme qu’il y ait eu quelques contenus manifestement illicites sur Tiktok, cela ne devrait pourtant pas permettre de prendre une mesure aussi grave que limiter ou bloquer toute un rĂ©seau social. Ce qu’autorise pourtant le Conseil d’État.

En fin de compte, dans cette affaire, le seul point qui a permis au Conseil d’État d’affirmer que le blocage Ă©tait illĂ©gal rĂ©side dans le fait que le gouvernement n’a pas cherchĂ© Ă  d’abord limiter certaines fonctionnalitĂ©s de la plateforme avant d’en ordonner le blocage complet. En d’autres mots, la dĂ©cision de bloquer est jugĂ©e disproportionnĂ©e uniquement sur le fait que le gouvernement aurait d’abord dĂ» prĂ©venir Tiktok et lui demander de limiter les contenus, avant de pouvoir ordonner le blocage du rĂ©seau social. Le principe mĂŞme de bloquer n’est pas remis en question.

Cet argument s’inscrit dans la continuitĂ© d’une idĂ©e exprimĂ©e par Emmanuel Macron, après les rĂ©voltes faisant suite Ă  la mort de Nahel Merzouk, de limiter certaines fonctionnalitĂ©s des rĂ©seaux sociaux, voire les bloquer lors de prochaines Ă©meutes. Le Conseil d’État lĂ©gitime le chantage auquel s’Ă©tait dĂ©jĂ  adonnĂ© le gouvernement en 2023 : fin juin 2023, les reprĂ©sentants de TikTok, Snapchat, Twitter et Meta Ă©taient convoquĂ©s par le ministre de l’intĂ©rieur, dans le but de mettre une « pression maximale Â» sur les plateformes pour qu’elles coopèrent et qui a conduit Ă  des demandes de retraits de contenus hors de tout cadre lĂ©gal (voir notre analyse de l’Ă©poque). DĂ©sormais, le gouvernement a une nouvelle arme, la menace de censure, fraĂ®chement inventĂ©e par le Conseil d’État, pour forcer les plateformes Ă  collaborer, quitte Ă  retirer des contenus lĂ©gaux.

Mode d’emploi pour le fascisme montant

Il ne s’agit donc absolument pas d’une victoire. Le Conseil d’État valide quasiment toute la dĂ©marche du Premier ministre. DĂ©sormais, mĂŞme pour sauver la face d’un prĂ©fet qui prĂ©fère censurer avant de rĂ©flĂ©chir, un gouvernement peut bloquer une plateforme en ligne, Ă  la condition de trouver sur cette plateforme quelques contenus vaguement violents et de justifier de « troubles Ă  l’ordre public d’une gravitĂ© exceptionnelle Â».

Pas besoin de justifier d’une habilitation par le lĂ©gislateur. Pas besoin de justifier de manière rigoureuse des contenus incriminĂ©s. Pas besoin de faire la moindre publicitĂ© autour de cette dĂ©cision. Les associations se dĂ©brouilleront pour comprendre l’ampleur et les raisons du blocage, et le gouvernement pourra mĂŞme changer de version si les premières justifications qu’il aura trouvĂ©es s’avèrent bancales.

Lors de l’audience publique, l’avocat de la Ligue des droits de l’Homme, elle aussi requĂ©rante dans cette affaire, avait prĂ©venu que les futurs rĂ©gimes illibĂ©raux s’empareront du mode d’emploi ainsi apportĂ© par le Conseil d’État. De notre cĂ´tĂ©, nous avions rappelĂ© que les rĂ©gimes qui se sont jusqu’alors aventurĂ©s dans la voie de la censure arbitraire d’Internet et qui se sont fait condamner par la Cour europĂ©enne des droits de l’Homme sont tous des rĂ©gimes autoritaires, Russie et Turquie en tĂŞte. Et peut-ĂŞtre, demain, la France.

Car cette dĂ©cision doit ĂŞtre replacĂ©e dans son contexte : celui d’un autoritarisme qui fait la courte-Ă©chelle depuis des annĂ©es Ă  un fascisme dĂ©sormais aux portes du pouvoirs ; celui de garde-fous qui s’avèrent inefficaces lorsque l’accompagnement de l’État dans ses dĂ©lires sĂ©curitaires prend la place de la protection des droits ; celui de proximitĂ©s entre dĂ©cideurs publics et lobbys sĂ©curitaires qui interrogent ; celui d’un pouvoir politique qui prĂ©fère la rĂ©ponse facile ou la dĂ©sinformation plutĂ´t que de revoir de fond en comble le système de violence qu’il renforce ; celui de la remise en question quotidienne d’un du principe fondateur de nos dĂ©mocraties modernes qu’est l’État de droit, par un ministre de l’intĂ©rieur rĂ©cidiviste, ou par une alliance inquiĂ©tante entre une extrĂŞme droite prise la main dans le pot de confiture, un Premier ministre qui sait qu’il sera peut-ĂŞtre le prochain, et une gauche qui a manquĂ© une occasion de se taire.

Quand on voit avec quelle rapiditĂ© l’État de droit est en train de s’Ă©crouler aux États-Unis, on ne peut que s’inquiĂ©ter. Car mĂŞme si Tiktok est une plateforme intrinsèquement problĂ©matique, utilisĂ©e comme caisse de rĂ©sonance pour la dĂ©sinformation et autres contenus extrĂŞmement toxiques, la fin ne peut pas tout justifier. L’État de droit se dĂ©compose et le fascisme est aux portes du pouvoir. Il est urgent de porter une voix hautement critique sur ces institutions incapables de protĂ©ger la dĂ©mocratie alors qu’elles devraient ĂŞtre Ă  l’avant-garde de la lutte contre l’extrĂŞme droite et l’autoritarisme. Alors si vous le pouvez, vous pouvez nous aider en nous faisant un don.

References[+]


Mobilisation pour un moratoire sur les gros data centers !

Tue, 01 Apr 2025 11:37:05 +0000 - (source)

Du 8 au 11 avril, les dĂ©puté·es examineront en sĂ©ance publique le projet de loi de « simplification de la vie Ă©conomique Â». Cette loi fourre-tout, conçue sur mesure pour rĂ©pondre aux demandes des industriels, contient un article 15 qui permettrait Ă  l’État d’imposer la construction d’immenses data centers aux collectivitĂ©s locales et Ă  la population. Face Ă  la fuite en avant sous l’Ă©gide de l’industrie de la tech, nous appelons les dĂ©puté·es Ă  rejeter l’article 15 du projet de loi « simplification Â» et Ă  soutenir un moratoire de deux ans sur la construction des plus gros data centers en France, le temps qu’un dĂ©bat public puisse se tenir sur la manière de les encadrer.

Contexte

Alors que la construction des data centers est en plein boom pour accompagner la prolifĂ©ration de l’IA dans tout les pans de la sociĂ©tĂ©, les multinationales de la tech s’allient Ă  l’État pour imposer ces infrastructures Ă  la population et Ă©viter toute contestation citoyenne face Ă  l’accaparement des ressources qu’elles supposent.

Ă€ son article 15, le projet de loi « simplification Â» – en fait une loi de dĂ©rĂ©gulation – autorise le gouvernement Ă  octroyer aux projets de construction de très gros data centers un statut issu de la loi de 2023 sur l’industrie verte : le label « projet d’intĂ©rĂŞt national majeur Â» (PINM). C’est une promesse d’Emmanuel Macron aux investisseurs internationaux. D’après le gouvernement, ce statut a vocation Ă  ĂŞtre rĂ©servĂ© aux data centers d’une surface d’au moins 40 hectares, soit plus de 50 terrains de foot ! Avec ce statut de « projet d’intĂ©rĂŞt national majeur Â», les industriels de la tech verraient le gouvernement travailler main dans la main avec eux pour imposer les data centers aux communes : l’État prendrait alors la main sur les compĂ©tences des collectivitĂ©s locales relatives Ă  l’urbanisme et Ă  l’amĂ©nagement du territoire, en menant lui-mĂŞme la réécriture des plans locaux d’urbanisme afin de les adapter Ă  ces projets de data centers. Les procĂ©dures de consultation du public seront encore allĂ©gĂ©es. Et l’État pourra par la mĂŞme occasion dĂ©cider que ces infrastructures peuvent dĂ©roger aux rĂ©glementations environnementales, notamment celles relatives aux espèces protĂ©gĂ©es.

Pour ne pas laisser les multinationales de la tech s’allier au gouvernement français pour alimenter cette fuite en avant dĂ©lĂ©tère et Ă©cocide, La Quadrature du Net et le collectif Le Nuage Ă©tait sous nos pieds, en lien avec les membres de la coalition Hiatus, appellent Ă  l’adoption d’un moratoire sur la construction des grands entrepĂ´ts Ă  serveurs1. Nous appelons toutes les personnes et organisations inquiètes de cette dĂ©rĂ©gulation au bĂ©nĂ©fice de la tech Ă  dĂ©noncer ce passage en force et Ă  contacter les dĂ©puté·es pour obtenir la suppression de cet article 15 et l’adoption d’un moratoire sur la construction des gros data centers ! Vous trouverez sur cette page toutes les ressources pour contacter les dĂ©puté·es et les convaincre de voter en ce sens.

Appelez vos dĂ©puté·es !

Argumentaire pour un moratoire sur les gros data centers

Voici quelques donnĂ©es Ă  avoir en tĂŞte pour convaincre les dĂ©puté·es de rejeter l’article 15 et d’adopter un moratoire sur les gros data centers !

1. Les data centers engendrent une intense prédation des ressources en eau et en électricité

→ Des instances de maĂ®trise dĂ©mocratique de l’impact Ă©cologique et foncier de l’industrie de la tech doivent d’urgence ĂŞtre Ă©tablies pour lutter contre ces prĂ©dations croisĂ©es sur l’eau et l’électricitĂ©, et assurer une trajectoire de sobriĂ©tĂ©.

2. Accompagnant la prolifĂ©ration de l’IA, les data centers sont l’objet d’un dĂ©ploiement territorial incontrĂ´lable

→ Il est nĂ©cessaire de mettre ce dĂ©ploiement en pause, de construire une stratĂ©gie concertĂ©e sur des infrastructures du numĂ©riques qui rĂ©pondent aux besoins de la sociĂ©tĂ© et non aux intĂ©rĂŞts Ă©conomiques de la tech et des fonds d’investissements qui la soutiennent.

3. Les data centers se multiplient dans une opacité systémique, sans prise en compte des alternatives

→ Face Ă  l’opacitĂ© systĂ©mique, il nous faut produire une connaissance prĂ©cise qui prenne en compte les enjeux sociaux, Ă©cologiques et gĂ©opolitiques des infrastructures du numĂ©riques aussi bien que les alternatives aux technologies dominantes.

4. Les data centers sont des infrastructures sensibles à la dangerosité mal évaluée

→ Les data centers sont des infrastructures dangereuses, et il est nĂ©cessaire de protĂ©ger les habitant.e.s et les Ă©cosystèmes des pollutions et des nuisances qu’ils engendrent.

5. Les data centers s’accompagnent d’impacts sociĂ©taux nombreux et insoutenables

→ Il faut reprendre la main sur les infrastructures du numĂ©riques et le monde qu’elles gĂ©nèrent. Il ne s’agit jamais d’enjeux simplement techniques : derrière les data centers, de nombreux enjeux politiques doivent ĂŞtre soulevĂ©s et dĂ©battus.


  1. Voir la proposition d’amendement de suppression de l’article 15, et celle portant sur un moratoire sur la construction de gros data centers. ↩︎


Loi « simplification » : un déni de démocratie pour mieux imposer les data centers

Fri, 21 Mar 2025 16:13:28 +0000 - (source)

L’AssemblĂ©e nationale a dĂ©butĂ© l’examen du projet de loi relatif Ă  la simplification de la vie Ă©conomique. Ă€ son article 15, ce projet de loi « simplification Â» (ou PLS) prĂ©voit d’accĂ©lĂ©rer la construction d’immenses data centers sur le territoire français, en permettant Ă  l’État de les imposer aux territoires concernĂ©s et en multipliant les dĂ©rogations au droit de l’urbanisme, de l’environnement ou au principe de participation du public. Contre cette fuite en avant, La Quadrature du Net et le collectif Â« Le Nuage Ă©tait sous nos pieds Â», en lien avec les autres membres de la coalition Hiatus, demandent la suppression de l’article 15 et un moratoire de deux ans sur la construction de gros data centers, le temps de poser les conditions d’une maĂ®trise dĂ©mocratique de ces infrastructures du numĂ©rique.

DĂ©but fĂ©vrier, lors du sommet de Paris sur l’IA, Emmanuel Macron endossait de nouveau son costume de grand chef de la Startup Nation. Ă€ la clĂ©, des annonces de financements tous azimuts : alors que le Parlement venait d’adopter le budget le plus austĂ©ritaire du XXIe siècle, les milliards pleuvaient, en particulier pour financer un boom des « centres de donnĂ©es Â» en France. Les data centers sont des usines de production industrielle, d’immenses entrepĂ´ts oĂą sont entassĂ©s des milliers de serveurs appartenant en grande majoritĂ© aux multinationales de la tech, notamment Ă©tasuniennes. Ă€ l’ère de l’IA, on assiste Ă  un vĂ©ritable boom dans la construction de ces infrastructures de calcul et de stockage de donnĂ©es, amplifiant du mĂŞme coup les mĂ©faits de l’informatique, non seulement du point de vue Ă©cologique, mais aussi en terme de surveillance, d’exploitation du travail, de casse des services publics, comme le dĂ©nonce la coalition Hiatus dans son manifeste fondateur.

Parce que la France dispose d’une Ă©nergie nuclĂ©aire qui permet de faire baisser les « bilans carbone Â» des multinationales de la tech, et parce qu’elle est idĂ©alement placĂ©e sur la carte internationale des câbles sous-marins, Macron le VRP la prĂ©sente comme une terre promise aux investisseurs. Pour les attirer, le prĂ©sident français leur a d’ailleurs fait une promesse : simplifier et dĂ©rĂ©guler pour Ă©viter les contestations et assurer une construction la plus rapide possible de ces infrastructures très consommatrices en ressourcesLa loi relative Ă  la simplification de la vie Ă©conomique, dĂ©jĂ  votĂ©e au SĂ©nat et actuellement examinĂ©e par l’AssemblĂ©e nationale, vise Ă  traduire cette promesse en actes.

Ce que dit le projet de loi de simplification (PLS)

Ă€ son article 15, le projet de loi « simplification Â» – en fait une loi de dĂ©rĂ©gulation – autorise le gouvernement Ă  octroyer aux projets de construction de très gros data centers un label issu de la loi de 2023 sur l’industrie verte : le label « projet d’intĂ©rĂŞt national majeur Â» (PINM). D’après le gouvernement, ce label a vocation Ă  ĂŞtre rĂ©servĂ© aux data centers d’une surface d’au moins 40 hectares, soit plus de 50 terrains de foot !

Avec ce statut de « projet d’intĂ©rĂŞt national majeur Â», les industriels de la tech verraient le gouvernement travailler avec eux Ă  imposer les data centers aux communes : l’État prendrait alors la main sur les compĂ©tences des collectivitĂ©s locales relatives Ă  l’urbanisme et Ă  l’amĂ©nagement du territoire, en menant lui-mĂŞme la réécriture des plans locaux d’urbanisme afin de les adapter Ă  ces projets de data centers1. Les procĂ©dures de consultation du public seront encore allĂ©gĂ©es. Et l’État pourra par la mĂŞme occasion dĂ©cider que ces infrastructures peuvent dĂ©roger aux rĂ©glementations environnementales, notamment celles relatives aux espèces protĂ©gĂ©es ou Ă  la non-artificialisation des sols2. Enfin, Ă  son article 15 bis, le projet de loi simplification grave dans le marbre de la loi la rĂ©duction de 50% dont bĂ©nĂ©ficient les centres de donnĂ©es au-delĂ  de 1 gigawatt consommĂ©s dans l’annĂ©e – un dispositif aujourd’hui prĂ©vu par un arrĂŞtĂ© conjoint du ministre chargĂ© de l’Ă©nergie et du ministre chargĂ© de l’industrie.

Ainsi, en encourageant l’explosion de data centers toujours plus gigantesques et voraces en ressources, la loi « simplification Â» accĂ©lère l’impact Ă©cocidaire de l’industrie informatique, le tout pour permettre Ă  la France et Ă  l’Europe de rester dans une illusoire « course Ă  l’IA Â».

Pourquoi cette dérégulation des data centers est inacceptable

Cette tentative d’« accĂ©lĂ©rer Â» est d’autant plus malvenue que la multiplication des data centers sur le territoire français fait d’ores et dĂ©jĂ  l’objet de contestations citoyennes Ă  travers le pays en raison des conflits d’usage qu’ils gĂ©nèrent.

Comme le documente le collectif Le Nuage Ă©tait sous nos pieds, auquel participe La Quadrature, leur implantation dans la zone du port de Marseille a par exemple conduit Ă  l’accaparement du foncier en front de mer. Elle a conduit Ă  remettre Ă  plus tard l’électrification des quais oĂą accostent les bateaux de croisières, comme en attestent les documents de RTE. Ces derniers continuent ainsi de recracher leurs fumĂ©es toxiques dans les quartiers Nord, occasionnant diverses maladies chez les habitant·es. Enfin, pour refroidir les serveurs qui tournent Ă  plein rĂ©gime, les data centers nĂ©cessitent Ă©galement d’immenses quantitĂ© d’eau, accaparant une ressource essentielle aux Ă©cosystèmes et au maintien de l’agriculture. Ă€ cela s’ajoute le rejet rĂ©gulier de gaz fluorĂ©s Ă  fort effet de serre, et une pollution sonore quasiment constante.

Compte tenu de ces problèmes, le flou juridique et dĂ©mocratique actuel autour des data centers est particulièrement choquant. Élu·es locaux et collectifs citoyens s’accordent sur la nĂ©cessitĂ© de repenser le cadre rĂ©glementaire autour des data centers. Quant Ă  la Commission nationale du dĂ©bat public (CNDP), elle demande Ă  ĂŞtre saisie lors de la construction de ces infrastructures mais se heurte Ă  la volontĂ© de l’État d’exclure l’instance d’un nombre croissant de projets industriels, Ă  travers un rĂ©cent projet de dĂ©cret.

Ă€ l’heure actuelle, la situation est donc Ă©minemment problĂ©matique. Mais avec la loi « simplification Â», le gouvernement propose de dĂ©rĂ©guler encore davantage, en aggravant le dĂ©ni de dĂ©mocratie. Il s’agit de dĂ©rouler le tapis rouge aux industriels et autre spĂ©culateurs de la tech, pour leur permettre de faire de la France une sorte de « colonie numĂ©rique Â» estampillĂ©e « bas carbone Â».

Pour un moratoire sur la construction des nouveaux data centers

Nous refusons que nos villes, nos villages, nos quartiers soient ainsi accaparĂ©s par les gĂ©ants de la tech. Nous refusons de voir nos territoires et nos ressources naturelles vendues aux plus offrants, en sapant les quelques mĂ©canismes de rĂ©gulation et de maĂ®trise collective qui existent aujourd’hui. Nous ne voulons pas « accĂ©lĂ©rer Â» la fuite en avant Ă©cocidaire de la tech comme y invite Emmanuel Macron, nous voulons y mettre un terme !

C’est pourquoi nous appelons les dĂ©puté·es Ă  rejeter l’article 15 du projet de loi « simplification Â» et Ă  soutenir un moratoire de deux ans sur la construction des gros data centers en France, le temps qu’un dĂ©bat public puisse se tenir sur la manière de les encadrer. Le moratoire de deux ans porterait sur les data centers de plus de 2 000 m2 ou de 2 mĂ©gawatts de puissance installĂ©e. Selon la typologie mise en place par CĂ©cile Diguet et Fanny Lopez, dans leur rapport de recherche pour l’ADEME, un moratoire sur les installations de plus de 2 000m2 prĂ©serve la possibilitĂ© de data centers de taille moyenne, et n’entrave pas d’éventuels projets que l’État ou les collectivitĂ©s voudraient conduire pour des usages publics.

Le dĂ©bat public auquel nous appelons pourrait prendre la forme d’une convention citoyenne. Il devra porter Ă  la fois sur la maĂ®trise dĂ©mocratique des infrastructures numĂ©riques que sont les data centers et sur les systèmes d’intelligence artificielle aujourd’hui dĂ©ployĂ©s dans tous les pans de la sociĂ©tĂ©. Il devra poser la question des usages des services numĂ©riques en tâchant de dĂ©faire les dĂ©pendances aux modèles toxiques des grandes multinationales du secteur. Contre la dĂ©rĂ©gulation industrielle consentie Ă  la tech, contre la concentration des pouvoirs et l’amplification de l’injustice sociale que renforce l’intelligence artificielle, il est urgent de remettre le numĂ©rique Ă  sa place et de penser un modèle de dĂ©veloppement de ses infrastructures compatible avec les limites Ă©cologiques et les droits humains et sociaux.

Prochaines étapes

Les membres de la commission spĂ©ciale chargĂ©e de l’examen du texte ont dĂ©jĂ  dĂ©posĂ© des amendements jeudi 20 mars. Plusieurs d’entre eux visent Ă  supprimer l’article 15. Un amendement visant Ă  demander un moratoire a Ă©galement Ă©tĂ© dĂ©posĂ© par les dĂ©puté·es Ă©cologistes Hendrik Davi et Lisa Belluco. Ces amendements seront examinĂ©s par la commission spĂ©ciale du lundi 24 au jeudi 27 mars. L’examen en sĂ©ance publique se tiendra ensuite du 8 au 11 avril 2024.

Nous diffuserons bientĂ´t une page de campagne visant Ă  faciliter la participation de toutes et de tous ! En attendant, faites tourner l’info et prĂ©parez-vous pour la bataille contre cette Ă©nième loi de merde ! <3


  1. L’article 15 du PLS vise Ă  qualifier de projets d’intĂ©rĂŞt national majeur pour la transition numĂ©rique, la transition Ă©cologique ou la souverainetĂ© nationale les centres de donnĂ©es de dimension industrielle, dans la continuitĂ© du dispositif applicable aux projets industriels d’envergure tel qu’introduit par l’article 19 de la loi du 23 octobre 2023 relative Ă  l’industrie verte. Ce statut, dĂ©fini Ă  l’article L. 300-6-2 du code de l’urbanisme et accordĂ© par dĂ©cret, permet, après accord du maire ou du prĂ©sident d’un regroupement de collectivitĂ©s locales accueillant le projet industriel, la mise en compatibilitĂ© par l’État des documents de planification et d’urbanisme. Le statut PINM donne compĂ©tence Ă  l’Etat – et non pas aux maires – pour dĂ©livrer les autorisations d’urbanisme pour les projets d’intĂ©rĂŞt national majeur. L’article 15 prĂ©cise en outre que les articles 27 et 28 de la loi du 10 mars 2023 relative Ă  l’accĂ©lĂ©ration des Ă©nergies renouvelables, qui permettent de faciliter les raccordements aux rĂ©seaux de transport d’Ă©lectricitĂ©, s’appliquent aux centres de donnĂ©es qualifiĂ©s de PINM. Il en dĂ©coule une priorisation du raccordement du projet au rĂ©seau d’électricitĂ© (par extension de dispositions issues de la loi APER) et la simplification des consultations du public sur les projets de raccordement. ↩︎
  2. La loi industrie verte permettait dĂ©jĂ  qu’un projet PINM puisse ĂŞtre reconnu « raison impĂ©rative d’intĂ©rĂŞt public majeur Â» (RIIPM), qui permet aux porteurs de projets industriels de bĂ©nĂ©ficier d’une dĂ©rogation Ă  l’obligation de protection stricte des espèces protĂ©gĂ©es. La RIIPM est prĂ©sumĂ©e acquise (via une prĂ©somption simple, la loi ne pouvant reconnaĂ®tre d’office ce critère) dès lors que s’applique le statut PINM, et non plus au moment ultĂ©rieur de l’examen de la dĂ©rogation espèces protĂ©gĂ©es. L’article 15 de la PLS prĂ©voit par ailleurs qu’un dĂ©cret en Conseil d’État prĂ©cise les conditions dans lesquelles la raison impĂ©rative d’intĂ©rĂŞt public majeur (RIIPM) peut ĂŞtre reconnue pour les centres de donnĂ©es par l’autoritĂ© administrative compĂ©tente. Quant Ă  l’artificialisation des sols, l’alinĂ©a 36 de l’article 15 amende la disposition « ZAN Â» de la loi Climat & rĂ©silience pour prĂ©voir qu’un espace naturel occupĂ© par un projet d’intĂ©rĂŞt national majeur n’est pas comptabilisĂ© dans les quotas ZAN locaux. ↩︎

Le gouvernement prĂŞt Ă  tout pour casser le droit au chiffrement

Tue, 18 Mar 2025 13:48:18 +0000 - (source)

Les discussions viennent de recommencer Ă  l’AssemblĂ©e nationale concernant la loi « Narcotrafic Â». Les mesures les plus dangereuses pourraient ĂŞtre rĂ©introduites par voie d’amendement : obligation pour les services de communication chiffrĂ©e de donner accès au contenu des Ă©changes (article 8 ter), logiciels-espions pour accĂ©der Ă  distance aux fonctionnalitĂ©s d’un appareil numĂ©rique (articles 15 ter et 15 quater) et « dossier coffre Â» (article 16). Elles sont toutes soutenues par le gouvernement et en particulier Bruno Retailleau. Concernant le chiffrement, celui-ci n’hĂ©site pas Ă  aligner les mensonges pour justifier la disposition. Petite (re)mise au point.

Le fantôme derrière la porte

Tel qu’introduit au SĂ©nat, l’article 8 ter visait Ă  crĂ©er une obligation pour les fournisseurs de services de messagerie chiffrĂ©e de donner Ă  la police et au renseignement un accès au contenu des communications. Il s’agit d’une attaque frontale contre la technologie de chiffrement de bout-en-bout, aujourd’hui intĂ©grĂ©e dans de nombreux services de communications tels que Signal, Whatsapp, Matrix ou encore la messagerie Ă©tatique Tchap, et qui permet d’empĂŞcher quiconque autre que le destinataire d’accĂ©der aux Ă©changes. Avec d’autres organisations telles que la Global Encryption Coalition, nous avons fortement dĂ©noncĂ© l’absurditĂ© et le danger d’une telle mesure qui mettrait fin Ă  la confidentialitĂ© des correspondances en ligne. Cette disposition a Ă©tĂ© supprimĂ©e en commission dans une quasi-unanimitĂ© assez rare. Seuls le centre et la droite se sont abstenus.

Trois dĂ©putĂ©s demandent pourtant son rĂ©tablissement  : Paul Midy (EPR), Mathieu Lefevre (EPR) et Olivier Marleix (LR). Ces amendements sont soutenus par le gouvernement. Cela n’est guère Ă©tonnant puisqu’on a vu le ministre de l’intĂ©rieur dĂ©fendre tant bien que mal cette mesure lors de son audition Ă  l’AssemblĂ©e. Il a insistĂ© de nouveau ce week-end dans une interview au journal Le Parisien, tout comme CĂ©line Berthon, la directrice de la DGSI, dans l’hebdomadaire d’extrĂŞme droite Le JDD. Que ce soit en audition ou dans les journaux, ceux-ci expliquent que l’article 8 ter n’affaiblirait pas le chiffrement ni ne crĂ©erait de « porte dĂ©robĂ©e Â» ou de « backdoor Â» (les termes sont d’ailleurs savamment Ă©vitĂ©s dans ces interviews) car il s’agirait uniquement d’introduire un participant fantĂ´me dans la conversation.

Par cela, ils tentent surtout de semer la confusion chez les dĂ©puté·es censé·es voter la loi. En effet, contourner le chiffrement de bout-en-bout en autorisant une personne tierce Ă  connaĂ®tre le contenu des messages constitue, par dĂ©finition, une « porte dĂ©robĂ©e Â». Dans un article datant d’il y a quelques annĂ©es dĂ©jĂ , l’Internet Society expliquait très bien le fonctionnement et l’impasse de ce type de mĂ©canisme vis-Ă -vis des promesses de confidentialitĂ© des messageries chiffrĂ©es.

Il faut comprendre que le chiffrement repose sur un Ă©change de clĂ©s qui garantit que seuls les destinataires de messages possĂ©dant les clĂ©s pourront dĂ©chiffrer les Ă©changes. Ă€ l’inverse, le mĂ©canisme du « fantĂ´me Â» distribue en secret des clĂ©s Ă  d’autres personnes non-autorisĂ©es, pour qu’elles aient accès au contenu des conversations. Ce dispositif oblige donc Ă  modifier le code derrière les messageries ou les services d’hĂ©bergement chiffrĂ©s et la consĂ©quence est la mĂŞme que de modifier directement l’algorithme de chiffrement. N’en dĂ©plaise au gouvernement qui cherche Ă  embrouiller les esprits en jouant avec les mots, ceci est bien une mĂ©thode, parmi d’autres, de crĂ©ation d’une porte dĂ©robĂ©e. La « proposition du fantĂ´me Â», revient purement et simplement Ă  remettre en cause le principe mĂŞme du chiffrement de bout-en-bout qui repose sur la garantie que seuls les destinataires d’un message sont en mesure de lire son contenu.

L’Internet Society est d’ailleurs très claire : « Bien que la proposition du fantĂ´me ne modifierait pas les algorithmes utilisĂ©s par les applications de messagerie Ă  chiffrement de bout en bout pour chiffrer et dĂ©chiffrer les messages, elle introduirait une vulnĂ©rabilitĂ© de sĂ©curitĂ© systĂ©mique dans ces services, qui aurait des consĂ©quences nĂ©gatives pour tous les utilisateurs, y compris les utilisateurs commerciaux et gouvernementaux. Cette proposition nuit Ă  la gestion des clĂ©s et Ă  la fiabilitĂ© du système ; par consĂ©quent, les communications supposĂ©es ĂŞtre confidentielles entre l’émetteur et le destinataire peuvent ne plus l’être, et sont moins sĂ©curisĂ©es. Â»

Un piège démocratique

Casser un protocole de chiffrement et le contourner posent, dans les deux cas, exactement les mĂŞmes problèmes :

Non seulement le gouvernement tente de minimiser ces consĂ©quences très graves, mais il ne s’arrĂŞte pas lĂ . Il prĂ©tend dĂ©sormais qu’une solution respectueuse de la vie privĂ©e pourrait exister pour mettre en Ĺ“uvre cette obligation auprès des fournisseurs de messageries. Ainsi, dans les amendements soutenus par le gouvernement, il serait ajoutĂ© Ă  l’article 8 ter un paragraphe prĂ©cisant que « ces dispositifs techniques prĂ©servent le secret des correspondances et assurent la protection des donnĂ©es Ă  caractère personnel au titre du respect de la vie privĂ©e Â», qu’ils doivent « exclure toute possibilitĂ© d’accès par une personne autre que les agents autorisĂ©s Ă  mettre en Ĺ“uvre les techniques de recueil de renseignement Â» et enfin qu’ils ne « peuvent porter atteinte Ă  la prestation de cryptologie visant Ă  assurer une fonction de confidentialitĂ©. Â»

De nouveau, affirmer avec assurance qu’un tel compromis serait possible est faux. Au regard du principe du chiffrement de bout-en-bout, il ne peut exister de possibilitĂ© d’accès au contenu des messages. Cette promesse constitue une escroquerie dĂ©mocratique en ce qu’elle tend Ă  faire adopter une mesure en pariant sur l’avenir, alors qu’une telle mise en Ĺ“uvre est impossible techniquement. Cette manĹ“uvre avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© utilisĂ©e par le Royaume-Uni pour faire adopter le « UK Safety Bill Â», ou par la Commission europĂ©enne lors des discussions sur le règlement « Chat Control Â». Dans les deux cas, il s’agissait de convaincre de voter une mesure attentatoire Ă  la vie privĂ©e en affirmant qu’on trouverait bien demain comment faire. Faire croire cela est non seulement un mensonge, mais c’est aussi dangereux d’un point de vue dĂ©mocratique : le gouvernement est en train d’essayer de tromper la reprĂ©sentation nationale en lui expliquant mal une technologie, en plus de l’avoir introduite sans prĂ©venir au milieu des dĂ©bats au SĂ©nat.

Continuer le rapport de force

Cette bataille n’a rien de nouveau. Il existe depuis toujours une tension politique autour du chiffrement des communications Ă©lectroniques, et cela est bien logique puisque le chiffrement est politique par nature. Les outils de chiffrement ont Ă©tĂ© pensĂ© pour se protĂ©ger des surveillances illĂ©gitimes et sont nĂ©cessaires pour garantir le secret des correspondances. Elles ont Ă©tĂ© dĂ©ployĂ©es sur Internet pour protĂ©ger les communications de la surveillance d’acteurs dangereux et notamment des États qui voudraient surveiller leur population. C’est pourquoi ces mĂŞmes États ont toujours opposĂ© une rĂ©sistance au dĂ©veloppement et Ă  la gĂ©nĂ©ralisation du chiffrement. Ă€ l’occasion du procès dit du « 8-DĂ©cembre Â», qui a remis ce sujet au cĹ“ur de l’actualitĂ©, nous revenions sur l’histoire des « crypto-wars Â» dans les annĂ©es 1990 et des Ă©vènements ayant freinĂ© la dĂ©mocratisation du chiffrement.

En 2025, le gouvernement ne fait donc qu’essayer de nouvelles manĹ“uvres pour mener Ă  bien un projet politique ancien, visant Ă  limiter le plus possible la confidentialitĂ© de nos vies numĂ©riques. Et il ne s’arrĂŞte pas lĂ  puisque deux autres mesures très problĂ©matiques font leur retour par des amendements, largement soutenus du Modem jusqu’au RN. Il s’agit de l’autorisation du piratage de nos appareils pour activer Ă  distance le micro et la camĂ©ra, et du retour du « dossier coffre Â», qui permet Ă  la police de s’affranchir des règles de procĂ©dure pĂ©nale en matière de surveillance intrusive et qui a suscitĂ© une forte fronde de la part des avocats.

Ces dispositions sont tout aussi dangereuses que l’attaque contre le chiffrement et il faut convaincre les dĂ©puté·es de rejeter les amendements visant Ă  les rĂ©introduire. Les dĂ©bats reprendront l’après-midi du 18 mars. Si vous le pouvez, c’est maintenant qu’il faut contacter les parlementaires pour expliquer le danger de ces mesures et rĂ©futer les mensonges du gouvernement.

Retrouvez nos arguments et les coordonnĂ©es des parlementaires sur notre page de campagne : www.laquadrature.net/narcotraficotage.

Un grand merci Ă  vous pour votre aide dans cette lutte !


Prolongement de la VSA : la petite danse autoritaire du gouvernement

Mon, 17 Mar 2025 14:11:07 +0000 - (source)

Pendant que le gouvernement fait adopter au pas de course les mesures de surveillance de la loi « Narcotrafic Â», un autre coup de force est en train de se jouer Ă  l’AssemblĂ©e nationale. La vidĂ©osurveillance algorithmique (VSA), cette technologie de surveillance de masse que nous dĂ©nonçons depuis des annĂ©es et qui a Ă©tĂ© rĂ©cemment dĂ©clarĂ©e illĂ©gale par le tribunal administratif de Grenoble, va ĂŞtre Ă©tendue au dĂ©tour d’un tour de passe-passe lĂ©gislatif.

Les droits humains mis de coté

Nous vous en parlions il y a quelques semaines : le cadre « expĂ©rimental Â» d’utilisation de la VSA prĂ©vu par la loi sur les Jeux Olympiques devait prendre fin au 31 mars 2025. Alors que le rapport d’évaluation constatait l’immaturitĂ© et l’absence d’utilitĂ© opĂ©rationnelle de cette technologie, le ministre des transports Philippe Tabarot dĂ©posait un amendement opportuniste au dernier moment sur une loi qui n’avait rien Ă  voir, relative aux transports, pour repousser ce dĂ©lai jusqu’à la fin de l’annĂ©e 2027. Ce texte comporte par ailleurs de nombreuses autres mesures de surveillance, comme l’expĂ©rimentation de micros dans les bus et les cars, la pĂ©rennisation des camĂ©ras piĂ©tons pour les agents de contrĂ´le ainsi que le renforcement des pouvoirs coercitifs de ces agents (palpations, taser…). Malheureusement, le rythme soutenu de l’activitĂ© lĂ©gislative ne nous a pas permis de lutter efficacement au Parlement contre cette extension de la rĂ©pression dans l’espace public et notre quotidien.

L’Assemblée nationale s’apprête à voter solennellement cette loi relative à la sûreté dans les transports demain, mardi 18 mars. Si la commission mixte paritaire a réduit de quelques mois le prolongement de l’expérimentation de VSA – ramenant son achèvement au mois de mars 2027 – cela ne change rien à la situation.

Car ce qui est rĂ©vĂ©lĂ© par cette sĂ©quence dĂ©passe les enjeux de surveillance. Sur le fond, nous ne sommes pas surpris·es de cette volontĂ© d’étendre la surveillance algorithmique de l’espace public, tant cela a Ă©tĂ© affichĂ© par les promoteurs de la Technopolice annĂ©e après annĂ©e, rapport après rapport. En revanche, la manière dont l’opĂ©ration est menĂ©e est aussi brutale qu’inquiĂ©tante. Elle rĂ©vèle l’indiffĂ©rence et le mĂ©pris croissant de la classe politique dominante vis-Ă -vis de l’État de droit. Les mĂ©canismes juridiques de protection des droits humains sont ainsi perçus comme des « lourdeurs administratives Â», empĂŞchant « l’efficacitĂ© Â» de l’action qu’il faudrait mener pour la « sĂ©curitĂ© Â».

Au nom de cette logique, nulle peine de s’expliquer ni de prendre en compte les dĂ©cisions des tribunaux, les promesses que le gouvernement a lui-mĂŞme faites Ă  la reprĂ©sentation parlementaire ou encore les exigences posĂ©es par le Conseil constitutionnel. La fin — lĂ©galiser la VSA, structurer le marchĂ© et l’imposer dans les usages policiers — justifie les moyens — violer les promesses d’Ă©valuation, mentir en assurant la reprĂ©sentation nationale que ces technologies ont donnĂ© entière satisfaction, prĂ©tendre que la VSA n’a rien Ă  avoir avec la reconnaissance faciale alors que le ministère est Ă©videmment dans l’attente de pouvoir lĂ©galement suivre des personnes et les identifier au travers de ces technologies.

Le symptĂ´me d’une dĂ©rive gĂ©nĂ©rale

Ce nouveau dĂ©ni de dĂ©mocratie n’est pas un cas isolĂ©. Nous voyons ce phĂ©nomène s’Ă©tendre de plus en plus, et dans toutes nos luttes. Nous voyons ainsi l’État vouloir Ă©carter le droit Ă  se dĂ©fendre et le principe du contradictoire dans la loi Narcotrafic, tout en supprimant les limites aux pouvoirs du renseignement, le tout pour toujours surveiller davantage. Nous suivons Ă©galement ses intentions de modifier la rĂ©glementation environnementale afin de construire des data centers sans s’embĂŞter avec la protection des territoires et des ressources, perçue comme une entrave. Nous documentons aussi la destruction organisĂ©e de la solidaritĂ© et de la protection sociale, Ă  travers un système de surveillance et de flicage automatisĂ© des administré·es de la CAF, de la CNAM ou de France Travail, sans que jamais ces institutions n’aient Ă  expliquer ou Ă  rendre des comptes sur le contrĂ´le social qu’elles mettent en place. Nous assistons, enfin, Ă  l’Ă©largissement toujours plus important des pouvoirs des prĂ©fets, qui s’en servent pour limiter abusivement les libertĂ©s d’association, empĂŞcher des manifestations ou fermer des Ă©tablissements. S’ils se font parfois rattraper par les tribunaux, ils parient le plus souvent sur l’impossibilitĂ© d’agir des personnes rĂ©primĂ©es, faisant de nouveau primer le coercitif sur la lĂ©galitĂ©.

L’extension de la VSA qui sera votĂ©e demain doit donc s’analyser dans ce contexte plus gĂ©nĂ©ral de recul de l’État de droit. Dès lors que l’on se place dans le jeu lĂ©galiste et dĂ©mocratique, ces mĂ©thodes brutales du gouvernement sont rĂ©vĂ©latrices de la dynamique autoritaire en cours. Et le silence mĂ©diatique et politique entourant cet Ă©pisode, alors que la VSA a pourtant suscitĂ© beaucoup d’oppositions et de critiques depuis le dĂ©but de l’expĂ©rimentation, est particulièrement inquiĂ©tant. Le Conseil constitutionnel sera probablement saisi par les groupes parlementaires de gauche et il reste la possibilitĂ© qu’il censure cette prolongation. Nous ne sommes pas rassuré·es pour autant.

Ce processus de mise Ă  l’Ă©cart des règles de droit ne fait que s’accĂ©lĂ©rer et nos alertes ne seront certainement pas suffisantes pour arrĂŞter le gouvernement. Le sursaut doit venir des parlementaires encore attaché·es au respect des droits et des libertĂ©s en dĂ©mocratie.

Pour nous aider dans nos combats, pensez si vous le pouvez Ă  nous faire un don.


Loi « Narcotraficotage » : la mobilisation paye alors ne lâchons rien

Tue, 11 Mar 2025 13:34:35 +0000 - (source)

Il y a quelques semaines, nous avons alertĂ© sur les dangers de la loi dite « Narcotrafic Â» qui arrivait Ă  toute allure Ă  l’AssemblĂ©e nationale. Vous avez Ă©tĂ© nombreuses et nombreux Ă  rĂ©agir Ă  ces annonces, Ă  partager les informations et Ă  contacter les dĂ©puté·es. Un grand merci Ă  vous ! La mobilisation a en partie payĂ© : les membres de la commission des lois ont supprimĂ© plusieurs mesures problĂ©matiques. Mais nous ne pouvons malheureusement pas totalement nous rĂ©jouir : la loi reste très dĂ©sĂ©quilibrĂ©e et certains articles peuvent revenir lors de l’examen, en sĂ©ance, qui dĂ©butera le lundi 17 mars.
Voici un rĂ©capitulatif des articles les plus dangereux en matière de surveillance. Et si vous voulez aller plus loin, vous pouvez lire l’analyse juridique que nous avions envoyĂ©e aux dĂ©puté·es juste avant les travaux en commission des lois ou revoir l’Ă©mission d’Au Poste sur le sujet.

Banco pour le renseignement

Les grands gagnants de cette loi sont pour l’instant les services de renseignement qui ont rĂ©ussi Ă  obtenir gain de cause sur toutes leurs demandes. Car, oui, cette loi « Narcotrafic Â» est aussi une petite « loi renseignement Â» dĂ©guisĂ©e. En effet, la Coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) assumait de chercher des « briques lĂ©gislatives Â» pour faire passer ses revendications – Ă©tant donnĂ© que l’instabilitĂ© politique empĂŞche de garantir qu’un projet de loi portĂ© par le gouvernement soit adoptĂ©. Dans cette proposition de loi, trois mesures accroissent les pouvoirs des services.

L’article 1er facilite l’échange d’informations entre les services de renseignement. Normalement, les services doivent demander l’autorisation du Premier ministre, après un avis de la Commission nationale de contrĂ´le des techniques de renseignement (CNCTR), s’ils veulent partager certains renseignements pour une autre raison que celle qui a en justifiĂ© la collecte. Une autorisation est par exemple aujourd’hui nĂ©cessaire pour la DGSE qui aurait surveillĂ© des personnes pour « prĂ©vention du terrorisme Â» et voudrait transfĂ©rer les informations ainsi obtenues Ă  la DGSI pour la finalitĂ©, diffĂ©rente, de « prĂ©vention des violences collectives de nature Ă  porter atteinte Ă  la paix publique Â». Ce filtre permet de vĂ©rifier que les services ne contournent pas les règles du code de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure et que l’échange est bien nĂ©cessaire, tout en les obligeant Ă  une certaine transparence sur leurs pratiques. Mais cette nĂ©cessitĂ© d’autorisation prĂ©alable a Ă©tĂ© supprimĂ©e pour toutes les situations – et pas uniquement en cas de criminalitĂ© organisĂ©e – au nom d’une « lourdeur Â» procĂ©durale, laissant ainsi le champ libre aux services pour s’Ă©changer les informations qu’ils veulent, sans contrĂ´le.

L’article 6 permet Ă  la justice de transmettre aux services de renseignement des informations relatives Ă  des dossiers de dĂ©linquance et criminalitĂ© organisĂ©e. En principe, ces Ă©changes sont interdits au nom de la sĂ©paration des pouvoirs : les renseignements font de la « prĂ©vention Â» administrative et la justice est la seule autoritĂ© pouvant rechercher et rĂ©primer les auteurs d’infractions. Si elle a des Ă©lĂ©ments, elle doit les conserver en attendant de rassembler davantage de preuves et non les donner Ă  un service de renseignement, qui est une administration et qui n’a pas de pouvoir de rĂ©pression alors que son activitĂ© est par nature secrète. Cette disposition affaiblit donc les garanties procĂ©durales qui entourent l’action judiciaire et renforcent les capacitĂ©s de surveillance du renseignement et donc du gouvernement.

Enfin, l’article 8 est un des plus dangereux de la proposition de loi puisqu’il Ă©tend la technique de renseignement dite des « boites noires Â». Cette mesure consiste Ă  analyser le rĂ©seau internet via des algorithmes pour trouver de prĂ©tendus comportements « suspects Â». Tout le rĂ©seau est scannĂ©, sans distinction : il s’agit donc de surveillance de masse. AutorisĂ©e pour la première fois en 2015 pour la prĂ©vention du terrorisme, cette technique de renseignement a Ă©tĂ© Ă©tendue en 2024 Ă  la prĂ©vention des ingĂ©rences Ă©trangères. Avec cet article 8, cette surveillance serait Ă  nouveau Ă©tendue et s’appliquerait alors Ă  la « prĂ©vention de la criminalitĂ© organisĂ©e Â». On ne sait pas grand-chose de ces boites noires, ni de leur utilisation, puisque les quelques rapports sur le sujet ont Ă©tĂ© classĂ©s secret dĂ©fense. En revanche, pendant les dĂ©bats en commission, le dĂ©putĂ© Sacha HouliĂ© (qui a Ă©tĂ© le promoteur de leur extension l’annĂ©e dernière) a donnĂ© des indications de leurs fonctionnement. Il explique ainsi que les comportements recherchĂ©s seraient ceux faisant de « l’hygiène numĂ©rique Â», soit, d’après lui, des personnes qui par exemple utiliseraient plusieurs services Ă  la fois (WhatsApp, Signal, Snapchat). L’ensemble de ce passage est Ă©difiant. Le dĂ©putĂ© macroniste, ancien membre de la dĂ©lĂ©gation parlementaire au renseignement, semble peu maĂ®triser le sujet mais laisse comprendre en creux que l’algorithme pourrait ĂŞtre configurĂ© pour rechercher toute personne ayant des pratiques numĂ©riques de protection de sa vie privĂ©e. Les mĂ©tadonnĂ©es rĂ©vĂ©lant le recours Ă  un nĹ“ud Tor ou l’utilisation d’un VPN pourrait semblent de fait ĂŞtre considĂ©rĂ©es comme suspectes. Ce mouvement consistant Ă  considĂ©rer comme suspectes les les bonnes pratiques numĂ©riques n’est malheureusement pas nouveau et a notamment Ă©tĂ© très prĂ©sent lors de l’affaire du « 8-DĂ©cembre Â».

Ces trois dispositions sont passées sans encombre et demeurent donc dans la proposition de loi.

Le droit au chiffrement en sursis

L’article 8 ter du texte prĂ©voyait une obligation pour les fournisseurs de services de messagerie chiffrĂ©e de donner Ă  la police et au renseignement un accès au contenu des communications. Cette mesure consiste en pratique Ă  installer une « porte dĂ©robĂ©e Â», ou « backdoor Â», pour compromettre le fonctionnement de ces services. Elle a fait l’unanimitĂ© contre elle. Qu’il s’agisse des associations fĂ©dĂ©rĂ©es au sein de la Global Encryption Coalition, des entreprises (rĂ©unies au sein de l’Afnum ou de Numeum) ou encore de certaines personnalitĂ©s politiques et institutionnelles dans une tribune du journal Le Monde, tout le monde rappelait le caractère insensĂ© et dangereux de cette mesure, pourtant adoptĂ©e avec la loi Ă  l’unanimitĂ© du SĂ©nat.

Ă€ l’AssemblĂ©e nationale aussi, le front contre cette disposition Ă©tait large puisque des amendements de suppression sont venus de tous les bords politiques. Lors de son audition, le ministre Retailleau a tant bien que mal essayĂ© de dĂ©fendre cette mesure, en rĂ©pĂ©tant les bobards fournis par le renseignement, sans sembler pleinement les comprendre. Et le ministre d’expliquer par exemple que cette mesure ne « casserait Â» pas le chiffrement mais viserait uniquement Ă  transfĂ©rer le contenu des conversations Ă  un utilisateur fantĂ´me… Or, contourner le chiffrement en autorisant une personne tierce Ă  connaĂ®tre le contenu des messages constitue bien une « porte dĂ©robĂ©e Â», puisque celle-ci disposera de nouvelles clĂ©s de dĂ©chiffrement, que le service de messagerie aura Ă©tĂ© obligĂ© de fournir aux autoritĂ©s (voir notamment les explications de l’ISOC). De plus, contrairement Ă  ce qu’affirmait le ministre de l’intĂ©rieur, une telle modification impacterait nĂ©cessairement le service dans son intĂ©gralitĂ© et concernerait de fait tous·tes ses utilisateur·ices.

Cette mesure controversĂ©e a Ă©tĂ© supprimĂ©e… pour l’instant. Nous restons en effet prudent·es car les attaques contre le chiffrement sont rĂ©currentes. Si les menaces se cantonnaient en gĂ©nĂ©ral Ă  des postures mĂ©diatiques de personnalitĂ©s politiques, le rapport de force est constant et les stratĂ©gies autoritaires pour faire adopter de tels dispositifs sont rĂ©gulièrement remises Ă  l’ordre du jour. Que ce soit pour prĂ©parer leurs acceptabilitĂ© sociale ou pour faire diversion sur d’autres mesures, il n’empĂŞche que ces attaques contre le chiffrement sont de plus en plus frĂ©quentes et rĂ©vèlent une volontĂ© assumĂ©e des services de renseignement de voir, un jour, cette technologie mise au pas. C’est aussi et surtout au niveau europĂ©en qu’il faut ĂŞtre vigilant·es pour l’avenir. De nombreux pays (comme la Suède, le Danemark ou le Royaume-Uni) essayent Ă©galement de mettre la pression sur les services de messagerie ou d’hĂ©bergement chiffrĂ©s. De leur cĂ´tĂ©, les institutions de l’Union europĂ©enne poussent plusieurs projets visant Ă  affaiblir la confidentialitĂ© des communications, comme le règlement « Chat Control Â» ou le projet du groupe de travail « Going Dark Â». C’est pour cela que montrer une forte rĂ©sistance est crucial. Plus nous rendons le rapport de force coĂ»teux pour les adversaires du chiffrement, plus nous montrons qu’il sera compliquĂ© de revenir la prochaine fois.

Des conquĂŞtes prudentes

D’autres mesures très dangereuses ont été supprimées par les membres de la commission des lois. Tel est ainsi le cas des articles 15 ter et 15 quater qui permettaient à la police judiciaire de compromettre la sécurité des objets connectés pour activer à distance des micros et des caméras. Une disposition quasi-identique avait été invalidée par le Conseil constitutionnel en 2023, ce qui semble avoir refroidi une majorité de député·es.

De la mĂŞme manière, le « dossier coffre Â» prĂ©vu par l’article 16 a Ă©tĂ© supprimĂ©. Cette mesure crĂ©e une atteinte inĂ©dite aux droits de la dĂ©fense en empĂŞchant les personnes poursuivies d’avoir accès aux procès-verbaux dĂ©taillant les mesures de surveillance les concernant, donc de les contester. Ă€ travers ce mĂ©canisme de PV sĂ©parĂ©, la police pourrait donc utiliser en toute opacitĂ© des outils très intrusifs (comme les logiciel-espions par exemple) sans jamais avoir Ă  rendre de comptes auprès des personnes poursuivies.

Mais ces deux mesures ont Ă©tĂ© supprimĂ©es Ă  seulement quelques voix près et sont dĂ©fendues bec et ongles par le gouvernement, ce qui nous fait dire qu’elles vont très probablement ĂŞtre remises sur la table lors de l’examen en sĂ©ance, ou ensuite en commission mixte paritaire.

De la mĂŞme manière, nous avons fortement critiquĂ© l’article 12 du texte qui prĂ©voit l’extension de la censure administrative d’internet par la police. En l’état, cette mesure permettait aux agents de Pharos d’exiger le retrait de contenus liĂ©s Ă  un champ très large d’infractions liĂ©es au trafic et Ă  l’usage de drogues, comme « la provocation Ă  l’usage de drogues Â». Cela pouvait donc inclure aussi bien des extraits de films que des articles publiĂ©s sur des sites de rĂ©duction des risques. Les membres de la commission des lois ont drastiquement rĂ©duit le pĂ©rimètre des infractions concernĂ©es par cette censure, qui est dĂ©sormais limitĂ© aux publications relatives Ă  la vente de drogues. Si cette avancĂ©e est bienvenue, il n’empĂŞche que le mĂ©canisme a Ă©tĂ© validĂ© et continue de renforcer la capacitĂ© de l’État Ă  censurer internet en dehors de tout contrĂ´le judiciaire.

Pour ces trois mesures, nous restons donc très prudent·es car elles peuvent être rétablies dans leur version d’origine en hémicycle. La mobilisation auprès des député·es reste donc très importante.

Une loi qui reste dangereuse

De nombreuses autres mesures ont Ă©tĂ© votĂ©es : la collecte, et la conservation pendant une durĂ©e disproportionnĂ©e de cinq annĂ©es, des informations d’identitĂ© de toute personne achetant notamment une carte SIM prĂ©payĂ©e (article 12 bis), la banalisation des enquĂŞtes administratives de sĂ©curitĂ© pour l’accès Ă  de nombreux emplois (article 22) ou l’utilisation des drones par l’administration pĂ©nitentiaires (article 23). Au-delĂ  de ces mesures de surveillance, le texte renforce une vision très rĂ©pressive de la dĂ©tention, de la peine ou de la justice des mineurs et – comme le dĂ©nonce l’association Droit Au Logement – facilite les expulsions locatives.

L’élargissement du nombre des agents pouvant consulter le fichier TAJ (article 15) a en revanche Ă©tĂ© supprimĂ©e. Non pas pour le respect des libertĂ©s mais parce qu’en pratique ces accès sont dĂ©jĂ  possibles.

Surtout, comme nous l’expliquons depuis le dĂ©but de la mobilisation, cette proposition de loi s’applique Ă  un champ bien plus large de situations que le seul trafic de drogues. En effet, elle modifie toutes les règles liĂ©es au rĂ©gime dĂ©rogatoire de la dĂ©linquance et la criminalitĂ© organisĂ©es, qui sont frĂ©quemment utilisĂ©es pour rĂ©primer les auteurs et autrices d’actions militantes. Par exemple, les procureurs n’hĂ©sitent pas Ă  mobiliser la qualification de « dĂ©gradation en bande organisĂ©e Â» pour pouvoir jouir de ces pouvoirs plus importants et plus attentatoires aux libertĂ©s publiques. Tel a Ă©tĂ© le cas pendant le mouvement des Gilets jaunes, lors de manifestations ou contre les militant·es ayant organisĂ© des mobilisations contre le cimentier Lafarge. Ce cadre juridique d’exception s’applique Ă©galement Ă  l’infraction « d’aide Ă  l’entrĂ©e et Ă  la circulation de personnes en situation irrĂ©gulière en bande organisĂ©e Â», qualification qui a Ă©tĂ© utilisĂ©e contre des militant·es aidant des personnes exilĂ©es Ă  Briançon, mais a ensuite Ă©tĂ© abandonnĂ©e lors du procès.

En l’état, la loi Narcotrafic reste donc fondamentalement la mĂŞme : un texte qui utilise la question du trafic du drogue pour lĂ©gitimer une extension de pouvoirs rĂ©pressifs, aussi bien au bĂ©nĂ©fice de la police judiciaire que de l’administration. Il faut donc continuer de lutter contre ce processus d’affaiblissement de l’État de droit et refuser cette narration jouant sur les peurs et le chantage Ă  la surveillance. Nous avons eu beaucoup de retours de personnes qui ont contactĂ© les dĂ©puté·es pour les pousser Ă  voter contre la loi. Un grand merci Ă  elles et eux ! Cela a très certainement dĂ» jouer dans le retrait des mesures les plus dangereuses.

Il ne faut cependant pas s’arrĂŞter lĂ . La proposition de loi va dĂ©sormais passer en hĂ©micycle, c’est-Ă -dire avec l’ensemble des dĂ©puté·es, Ă  partir du lundi 17 mars. Les propositions d’amendements seront publiĂ©es d’ici la fin de semaine et donneront une idĂ©e de la nature des dĂ©bats Ă  venir. En attendant, vous pouvez retrouver notre page de campagne mise Ă  jour et les moyens de contacter les parlementaires sur la page de campagne dĂ©diĂ©e. Vous pouvez aussi nous faire un don pour nous aider Ă  continuer la lutte.


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