C'est une bien belle citation. Si seulement elle pouvait s'appliquer au vrai monde...
Le fait est que tout le monde ne peut pas vivre de sa passion. Premièrement parce que tout le monde n'a pas de passion. Deuxièmement parce qu'une passion ne peut pas forcément être rémunérée. Troisièmement parce que professionnaliser sa passion ne convient pas à tout le monde, on peut avoir une passion sans rigueur. Quatrièmement parce que dans le cadre d'un travail salarié, un patron n'a pas la même vision que toi, ne te donnera pas forcément que des tâches qui te plaisent, etc. Ou même un client (celui qui te paye). Et tout un tas d'autres raisons.
C'est pour cela que vouloir vivre de sa passion, c'est bien, mais ça ne permet pas de construire un modèle de société.
La valeur "travail" est souvent érigée comme valeur sacrée, ou prétendument sacrée (parce que ceux qui veulent la sacraliser sont souvent ceux qui ne foutent rien et vivent du travail des autres ; comme pour un clergé classique, en fait). Et je ne suis pas d'accord.
Si le travail rend effectivement libre, c'est au sens où Descartes l'entendait, c'est à dire comme maître et forgeron de la Nature, c'est à dire maître de sa propre condition (ce qui est une définition de la Liberté). Mais on est très loin de cette conception. Comme Marx l'a montré, l'organisation du travail telle qu'elle est faite aujourd'hui (je dis aujourd'hui en parlant de Marx car même s'il est mort, l'organisation du travail et les rouages du monde restent les mêmes) est une aliénation à la production. Du coup, c'est dans le temps de "non-travail" que peut se trouver la liberté et, de fait, l'exercice plein et entier de son éventuelle passion.
De fait, donc, vouloir travailler dans le domaine de sa passion est un bel objectif, mais ce n'est pas possible pour tout le monde, d'autant plus dans le mode d'organisation du travail actuel, dévoyant le concept de "travailler pour sa liberté" (qui est en fait une notion proche du travail commun pour une liberté commune) et la transformant, via la sacralisation du travail, en "travaille pour ta liberté", individualisant le concept, permettant ainsi l'aliénation et, donc, l'oppression.
Bien penser le travail ne peut se faire qu'à un niveau global, prenant en compte tous les individus et non la volonté de quelques élus.
Il y a une méthode très simple pour savoir si une idée, un concept, une citation est applicable à tous. Il suffit d'imaginer l'appliquer à tous. Si le monde peut continuer de tourner comme ça, dans le respect égal des individus, alors c'est potentiellement une bonne idée. S'il faut laisser des individus sur le côté, même si c'est un seul, alors c'est une faveur, un privilège, pas de l'égalité.
Vouloir que tout le monde vive de sa passion, c'est un privilège. Ce n'est pas pour autant qu'on doit interdire de vivre de sa passion hein. Mais vouloir cette idée comme but ultime de l'Humanité est hautement questionnable.
Un peu de lecture sur la question qui peut être intéressante : Travailler 2 heures par jour, du collectif Adret : http://www.amazon.fr/Travailler-deux-heures-par-jour/dp/2020050773
Pour contexte : une de mes passions est effectivement l'informatique et ce qui touche notamment au réseau. Je travaille dans ce domaine, en tant que salarié. Pour autant, ma passion ne s'épanouit pas dans mon métier. Je fais des choses qui me plaisent, souvent, des choses qui me plaisent moins, parfois. Mais je ne suis pas libre d'exercer ma passion comme je l'entends. J'ai un patron, qui a des objectifs de rentabilité que je partage lorsque je travaille pour lui mais que je ne partage plus lorsque je suis en dehors du travail. Les quelques pauvres bouts de code que je ponds dans ma section "Downloads" par exemple, n'ont aucun objectif de rentabilité.
Je m'arrête ici, c'est déjà assez long ^^