J'aimerai rapidement donner mon avis sur les différents sujets que je vois passer à propos de cette soi-disant dégradation de la langue française à cause des différentes réformes qui ont été appliquées dernièrement. Là j'ai vu passer coup sur coup différentes absurdités concernant ce sujet dans mes différents flux, et ça me gonfle sévère.
Déjà, bon, c'est globalement des conneries tout ce qu'on dit de ces réformes. Le français est une langue vivante, elle évolue, parce que les gens se l'approprient, la parlent, l'adaptent. Tous les tenants de "rien ne va plus tout fout l'camp", avec de la cohérence, vous devriez écrire, encore aujourd'hui, environ comme ça :
A un jor d'une Acenssion
Fu venuz de vers Carlion
Li rois Artus et tenu ot
Cort molt riche a Camaalot,
Si riche com au jor estut.
Aprés mangier ne se remut
Li rois d'antre ses conpaignons;
Molt ot en la sale barons,
Et s'i fu la reïne ensanble;
Vous n'y comprenez quasiment rien ? Pourtant c'est du Chrétien de Troyes, du bon français ça ! Et encore, on est presque 300 ans après le serment de Strasbourg, vous savez, "l'acte de naissance de la langue française". Ce serment, ça donne ça :
Pro Deo amur et pro christian poblo et nostro commun salvament, d'ist di en avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo et in aiudha et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradra salvar dift, in o quid il mi altresi fazet, et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai, qui meon vol cist meon fradre Karle in damno sit
Heureusement qu'on en a fait, des réformes, hein ? Et pour enfoncer le clou, "pharmacie" s'écrit avec un f en italien ou en espagnol (farmacia) et d'ailleurs dans énormément de langues romanes, et ils sont pas plus cons que nous. Et le prédicat n'a rien de nouveau (j'ai été latiniste, et le prédicat bah c'est la base en fait), et c'est d'ailleurs comme ça qu'est enseigné le français au Québec, et ils sont pas plus cons que nous.
Bref, une fois cet argument pulvérisé avec ses conservateurs incohérents, passons aux choses sérieuses.
En France, on a un problème d'analphabétisme et d'illettrisme. Un gros, très gros problème. 20% des adolescents de 15 ans sont illettrés à plus ou moins haut niveau (on parle d'un problème de littératie, source OCDE). Moins de 8% de la population maîtrise l'écrit de manière assez importante pour n'avoir aucun problème (la moyenne de l'OCDE est de 12%). Le français est une langue extrêmement dure à maîtriser, elle crée des clivages importants entre les gens, c'est un facteur clivant de la société.
Faire en sorte qu'elle soit plus naturelle, en s'appuyant sur l'appropriation de la langue par les personnes qui la parlent, est une très bonne chose. On ne vous demande pas d'écrire comme les réformes le disent : les deux formes vont coexister, jusqu'à l'extinction naturelle de l'ancienne, celle que je pratique. Vous, votre éducation est faite, c'est bon. Et ça a apporté les chiffres que j'ai donné plus haut. La façon dont on enseigne le français ne va pas (et globalement, vous vous attachez au COI et au COD alors que vous n'êtes pas foutus de les utiliser correctement). Le français qu'on apprend ne correspond plus à l'usage du français. La majorité des populations parlant le français ne sont même pas françaises bon sang ! Le français est une langue vivante, mouvante, et c'est BIEN !
Mais la question se pose de permettre aux jeunes en train d'être éduqués aujourd'hui de trouver leur place dans la société de demain. Une société qui ne sera plus en adéquation avec ce qu'on leur enseignera, qui n'est d'ailleurs déjà plus en adéquation avec le français tel qu'on l'enseigne. La question c'est donc de savoir si on veut combattre l'illettrisme, tout en permettant à la langue d'être enseignée correctement et simplement (et non, la manière dont vous l'avez apprise ne marche pas, les chiffres sont clairs), ou se draper d'une vertu absurde en mode "j'ai souffert, tu souffriras" stupidement vengeur, sans recul et sans intérêt autre qu'égo-centré.
Et c'est quelqu'un qui n'a pas de difficulté particulière à écrire et comprendre le français qui le dit.
(ça contrebalancera un peu tous ces puristes guignolesques qui pensent que parce qu'ils y sont arrivés, les autres doivent le mériter ou rester dans la merde) (il y aurait beaucoup plus à dire, mais j'ai dit que je serai rapide)